Musealia - Le dessin sous haschisch

Ce dessin réalisé à l’encre de Chine fait partie des documents ayant appartenu à Jean-Martin Charcot (1825-1893) qui furent offerts à la Salpêtrière en 1907 par son fils, l’explorateur Jean-Baptiste Charcot. Ce don est à l’origine du fonds de la bibliothèque Charcot, qui rassemble sa bibliothèque personnelle et une partie de ses archives. Fait rare, l’histoire de ce dessin est documentée grâce à Henry Meige (1866-1940), élève puis collaborateur de Charcot. On sait ainsi qu’il fut réalisé quand le neurologue expérimenta les effets du cannabis en 1853…

Le cannabis est introduit en Europe dans les années 1830, lors de la création des empires coloniaux, alors que les scientifiques européens s’attachent à étudier les ressources des pays conquis. On tente alors de lui trouver un rôle thérapeutique. En Inde, le médecin irlandais William Brooke O’Shaughnessy l’utilise contre les maladies convulsives (tétanos, choléra), en France ce sont les psychiatres qui s’y intéressent.

Alexandre Brierre de Boismont est le premier à décrire, entre 1837 et 1840, les effets de l’ingestion d’une substance issue de la distillation du chanvre. En 1845, dans Du haschisch et de l’aliénation mentale, Jacques-Joseph Moreau de Tours en fait l’éloge. Après cet ouvrage, débute une vogue dans les milieux littéraires, dont se font l’écho Théophile Gautier ou Charles Baudelaire.

Charcot teste le haschich dans ce contexte. Son talent de dessinateur lui permet de saisir ses hallucinations. Les expérimentations de ce genre et les observations très visuelles qui s’ensuivent furent l’un des faits marquants de la méthode de Charcot : avec les hystériques ou pour d’autres maladies, Charcot a toujours usé du caractère démonstratif des expériences visuelles. Ce dessin, cette initiation au cannabis, apparaissent ainsi comme les prémices d’une approche scientifique que Charcot perfectionnera toute sa vie et qui marquera durablement ses élèves, parmi lesquels Sigmund Freud (1856-1939). Le dessin a été récemment exposé au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, dans le cadre de l’exposition Sigmund Freud. Du regard à l’écoute (octobre 2018-février 2019).

Par Florian Horrein, responsable de la bibliothèque Charcot (BSU).

• Jacques Arveiller, « Le Cannabis en France au XIXe siècle : une histoire médicale », L’Évolution pyschiatrique, vol. 78, n°3, pp. 451-484.
• Henry Meige, « Charcot artiste », Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. XI, pp. 489-516.
• Jacques-Joseph Moreau de Tours, Du hachisch et de l’aliénation mentale, Paris, 1845.
• Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels, opium et haschisch, Paris, 1860.