• Science, culture et société

Mille et une voix : un projet pédagogique au cœur des technologies conversationnelles

Financé en partie par SCAI, le projet "Mille et une voix" plonge les élèves du secondaire dans l’univers des technologies conversationnelles.

Initié par la designer Zoé Aegerter et Clotilde Chevet, ingénieure d'études à SCAI et docteure de Sorbonne Université, ce projet interdisciplinaire marie design, recherche et pédagogie pour donner aux élèves les moyens de comprendre et de créer leur propre voix de synthèse, tout en cultivant leur esprit critique face aux machines parlantes.

Photo : Clotilde Chevet et Zoé Aegerter

Avec l’avènement des technologies du langage, telles que la reconnaissance vocale, la synthèse de la parole et la traduction automatique, les interfaces conversationnelles se sont imposées dans nos vies quotidiennes. Conscientes des bouleversements que ces technologies provoquent dans notre rapport à la lecture, à l'écriture et à l'oralité, Zoé Aegerter et Clotilde Chevet, en partenariat avec l’IRCAM et SCAI, ont choisi de mettre le design au service de l’éducation, pour interroger ces nouvelles formes d'interfaces numériques et permettre aux jeunes d’en comprendre les enjeux.

En 2016, Clotilde Chevet, alors doctorante en sciences de l'information et de la communication à Sorbonne Université, rencontre Zoé autour d'un intérêt commun pour les transformations que ces technologies conversationnelles induisent dans notre façon de communiquer et de penser. « Je faisais des recherches sur l'interaction homme-machine, mêlant communication, anthropologie. Zoé, quant à elle, venait du champ de la création et du design et s’était spécialisée dans les technologies du langage. Nous avons rapidement réalisé que nous partagions une vision commune autour de la technologie comme objet de transformation. Nous avions toutes les deux des envies de croiser nos domaines, et c'est ainsi qu’est né le projet Mille et une voix pour devenir un espace d'exploration à la fois pédagogique et créatif », explique Clotilde Chevet. « Nous avons voulu répondre à la question : qu'est-ce que lire, écrire et parler à l'ère des 'machines parlantes' ? » souligne Zoé Aegerter. Ce projet invite ainsi les élèves à ouvrir la « boîte noire » des agents conversationnels, pour en découvrir les rouages tout en devenant eux-mêmes créateurs de ces technologies.

Vers une éducation active et critique

Le projet "Mille et une voix" a pour objectif central de permettre aux jeunes de déconstruire et de comprendre les technologies conversationnelles, en particulier les voix de synthèse qui incarnent ces machines parlantes. « Nous voulions démystifier la machine auprès des jeunes, en leur montrant ce qu'il y a derrière une voix de synthèse, et en les engageant dans la création de leur propre robot parlant », précise Clotilde Chevet.

L’ambition du projet est de réintroduire un espace de liberté et de découverte dans la relation des enfants avec les technologies numériques, en les encourageant à se réapproprier la culture de la donnée et à comprendre leur rôle d'auteur dans l’interaction avec la machine. « Nous avons ressenti le besoin de faire participer un jeune public, car il y avait un enjeu d'acculturation aux machines qui parlent, à un âge où les enfants acquièrent des compétences en écriture, lecture, et énonciation », ajoute Zoé Aegerter.

Fabriquer le Bestiorobot : une démarche pédagogique et créative

Le cœur du projet réside dans la création du Bestiorobot, un personnage imaginaire, à la voix changeante et plurielle, que les élèves vont concevoir à travers une série d’ateliers en partenariat avec l’Ircam. « L’objectif est d’accompagner les enfants dans l’élaboration d’un robot parlant dont ils auront écrit et enregistré les paroles », explique Zoé Aegerter. Au fil des ateliers, les élèves découvrent leur propre voix enregistrée, apprennent à la manipuler, et créent une voix collective qui incarne le Bestiorobot. « Nous avons voulu explorer la possibilité d’une voix qui ne soit pas unique, mais qui incarne un collectif, celui des enfants qui créent le robot », explique Clotilde Chevet.

A travers ces séances, les enfants développent de nouvelles compétences : découverte de la synthèse vocale, écriture collective, analyse des enregistrements, jeu de combinaison, et enfin création d'un arbre de conversation. Cette approche permet aux élèves de comprendre les processus derrière les technologies qu'ils utilisent au quotidien, tout en les engageant dans une réflexion critique sur ces outils.

 

Crédit photo : Quentin Chevrier

Comprendre la relation des enfants avec les machines parlantes

Au-delà de la création d’un robot parlant, le projet "Mille et une voix" cherche à observer et analyser les représentations que les enfants se font des robots conversationnels. « Nous voulons comprendre comment les enfants perçoivent ces machines : sont-elles des objets magiques ou technologiques ? Se considèrent-ils comme des concepteurs ou de simples utilisateurs ? » explique Zoé Aegerter. Pour ce faire, des temps de discussion réguliers sont prévus avec les élèves tout au long du projet, afin de suivre l'évolution de leur perception et de leur compréhension des machines parlantes. L'objectif est d'explorer comment ils s'approprient ces technologies et les utilisent dans un cadre créatif et éducatif.

Le projet s'intéresse également à la façon dont ils interprètent leur propre rôle d'auteur dans la création du robot, mais aussi à la manière dont le robot apprend à partir de ce que les élèves lui donnent comme information. « Nous explorerons ainsi les thématiques de l’intelligence et de l’automatisation : comment le robot “pense” (fonctionne) ? Que signifie “parler” ou encore "se souvenir" pour une machine ? », ajoute Clotilde Chevet.

Les perspectives du projet

À court terme, les porteuses du projet ont pour objectif de multiplier les ateliers dans d’autres établissements scolaires, tout en continuant d’explorer des formats variés, tels que les installations sonores ou les pièces de théâtre où les enfants interagissent avec le Bestiorobot. « Nous travaillons avec des compositeurs, des développeurs, et des chercheurs pour explorer toutes les possibilités offertes par ces technologies, tout en restant ancrés dans un cadre éducatif », explique Zoé Aegerter. Ce partenariat permet également de relier les recherches en humanités numériques avec les applications concrètes en milieu scolaire.

Le projet pourrait également s’étendre à l’international, en explorant la diversité des accents et des langues, notamment au sein de la francophonie. « Nous avons encore beaucoup à explorer, et nous espérons que ce projet continuera d’évoluer avec les besoins des nouvelles générations », conclut Zoé Aegerter.

Par Justine Mathieu