Maria Luiza Pedrotti : « Un consortium de bactéries se forme sur les microfibres découvertes en Méditerranée »
Les microfibres de la mer Méditerranée sont des foyers flottants pour les bactéries. Tels sont les résultats d’une recherche dirigée par Maria Luiza Pedrotti, chercheuse CNRS au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer (IMEV/Sorbonne Université/CNRS). Cette étude est la première à signaler la présence d’une bactérie pathogène sur les minuscules fibres textiles rencontrées dans la grande bleue. Entretien.
La Méditerranée est la mer la plus polluée au monde par les microplastiques. Depuis quand étudiez-vous ce phénomène ?
Maria Luiza Pedrotti : J’ai commencé à m'intéresser à la pollution plastique en Méditerranée lorsqu’en 2014, j’ai participé à l’expédition Tara Méditerranée de la Fondation Tara Océan. Au départ, mes recherches au sein du laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV) se concentraient surtout sur le zooplancton. Mais, durant cette expédition de six mois, j’ai été impressionnée par la quantité de plastiques que l’on remontait dans nos filets. Des plastiques souvent entremêlés avec le zooplancton d’ailleurs. J’avais dans l’idée que cette « récolte » était plutôt ponctuelle, mais il s’est avéré que non. Je me suis alors rendu compte que la pollution par les plastiques est bel et bien omniprésente dans tout le bassin méditerranéen. À la suite de cette expédition, j’ai monté un groupe de recherche pour étudier les microplastiques.
D’où viennent-ils ces microplastiques ?
M-LP : Une partie de la pollution provient des plastiques dits secondaires qui sont issus de la fragmentation d’objets, comme une bouteille jetée à la mer qui va se fragmenter peu à peu jusqu’à devenir nos fameux microplastiques, faisant à peu près la taille d'un confetti (moins de 5 mm). Ce sont eux qui sont les plus abondants dans les mers et les océans, et notamment en Méditerranée. Imaginez : quand la fragmentation d’un plastique débute, elle va être continue au fil du temps en ce sens que le plastique peut mettre 400 ans pour se dégrader.
On remarque aussi une pollution émanant de plastiques primaires, directement rejetés dans l’environnement, tels que les fibres textiles. À chaque fois que l’on lave un vêtement en machine, des milliers de fibres s’en détachent. Si les stations d’épuration arrivent à en filtrer certaines, elles ne peuvent pas le faire en intégralité. Les fibres se retrouvent donc dans les cours d’eau, rivières, fleuves, mer… C’est d’autant plus notable sur la rive sud de la Méditerranée où de nombreux pays n’ont pas de station d’épuration. Tout est alors déversé dans les eaux…
Il y a plusieurs décennies, ce problème n’était pas aussi significatif, car nous utilisions moins la machine à laver et la majorité des textiles était en coton. Aujourd’hui, l'industrie textile utilise des millions de tonnes de plastique pour la production de vêtements et même si les fibres naturelles se dégradent plus rapidement, elles polluent quand même l’environnement. En Méditerranée, environ la moitié des microfibres récoltée est d’origine synthétique.
Ces fibres proviennent majoritairement des vêtements, mais pas seulement. On les retrouve aussi dans les filets de pêche fabriqués en nylon qui s’usent naturellement dans la mer ou qui sont parfois abandonnés par les pêcheurs. Sachant que le nylon met 600 ans à se dégrader, on peut dire que ces filets fantômes continuent de pêcher et de mettre à mal les organismes et mammifères marins pendant tout ce temps…
En analysant ces microfibres, vous vous êtes rendue compte qu’elles étaient des foyers à bactéries…
M-LP : En effet ! Pour découvrir les bactéries vivent sur ces microfibres, nous avons utilisé des techniques de microscopie avancées et le séquençage de l'ADN. Nous avons découvert que plus de 2 600 cellules en moyenne vivent sur chaque microfibre. Ces cellules appartiennent à 195 espèces de bactéries, dont le Vibrio parahaemolyticus, une bactérie potentiellement pathogène provoquant des intoxications alimentaires.
Comme pour les plastiques, un écosystème riche en bactéries se forme sur ces microfibres de textile.
Quels sont les risques de cette bactérie ?
M-LP : Ils sont d’abord d’ordre sanitaire. La présence de la bactérie peut constituer une menace pour la baignade et la consommation de fruits de mer. D’autres études ont constaté qu’elle a déjà décimé des centaines d'huîtres dans le parc à huîtres de l’étang de Thau, séparé de la Méditerranée par une fine lagune.
La propagation de ce Vibrio est liée à un double facteur : la hausse de la pollution plastique, surtout en été avec l'augmentation de la population locale par les touristes, ainsi que le rôle du changement climatique. À l'époque où nous avons trouvé ce Vibrio, la température de l’eau dans la région à cette période tournait en moyenne aux alentours de 26 °C alors que cette année, elle a atteint les 29 °C.
S’il y a des risques pour l’humain, on imagine qu’il y en a aussi pour la faune marine. Quelles sont les conséquences de l’ingestion de microfibres chez les poissons ?
M-LP : Les organismes marins sont alléchés par l’odeur des microfibres similaires à celle de nourriture, et les consomment. En raison de leur persistance, les microfibres s'accumulent dans leurs organismes. Des scientifiques ont montré que des minuscules morceaux de plastiques, les nanoplastiques, pénètrent dans le cerveau des poissons.
Même s’il est très complexe de séparer les microfibres des plastiques dans le système digestif des poissons, certaines études ont démontré que dans les endroits les plus pollués de la planète, le taux de reproduction des poissons diminue.
Y a-t-il des solutions ?
M-LP : Certaines initiatives, que je salue d’ailleurs, essaient de trouver des solutions pour nettoyer la mer, mais il faut être réaliste, cela n’est pas possible ! Vous savez, j’ai aussi eu l’occasion de participer à l’expédition Tara Pacific au cours de laquelle nous avons traversé le tristement célèbre océan de plastique ou 7e continent.
Je m’attendais à y voir flotter de gros déchets plastiques, mais ce sont surtout des fines particules, des minuscules confettis qui forment cette soupe d’ordure. C’est impossible de nettoyer tout cela, surtout que ces microparticules sont aussi entremêlées avec le vivant comme le plancton.
Je pense qu’il faut stopper cette pollution en amont en réglementant davantage l’interdiction des plastiques à usage unique. Il faut aussi nous responsabiliser : éviter le plastique à usage unique donc, acheter moins de vêtements, mieux utiliser nos habits, repenser notre façon de laver le linge… En remplissant une machine à ras bord, moins de fibres se détachent lors du lavage. Certains constructeurs réfléchissent même à intégrer des filtres spéciaux dans les nouvelles machines.
Même si nous ne pouvons pas nettoyer la Méditerranée, des solutions existent pour réduire notre impact sur sa pollution.