Quand les jeunes poissons mangent du plastique au lieu du plancton
Le plastique est un des plus grands fléaux de la pollution marine. Avec plus de 8 millions de tonnes de détritus plastiques rejoignant chaque année les océans, l’accumulation de ces déchets sature le milieu naturel. Depuis plus de 20 ans les scientifiques tentent d’alerter l’opinion publique fasse à l’ampleur de cette pollution, permettant ainsi une prise de conscience collective.
Nous avons tous été horrifiés par l’exemple de ces photos d’estomacs de baleines échouées ou d’oiseaux marins contenant des sacs plastiques, des bouchons de bouteilles, etc. ; ou encore cette photo d’une tortue dont sa carapace, prise au piège dans un sac plastique, se développe en forme de sablier. Ces macroplastiques (dont la taille est supérieure à 25 millimètres) ne sont malheureusement que la partie visible de l’iceberg. En effet, il existe deux autres catégories de plastiques issus de la dégradation des macroplastiques : les microplastiques (entre 5 millimètres et 1 nanomètre) et les nanoplastiques (inférieurs à un nanomètre).
Les impacts de ces microplastiques sur les organismes vivant dans les fleuves, les mers et les océans sont encore mal connus et font l’objet de nombreuses recherches dans le monde entier. Un grand nombre d’études se sont portées sur l’ingestion de microplastiques par des poissons adultes. Selon les régions du globe, la présence de plastiques dans les estomacs de poissons peut atteindre 95 % des poissons étudiés. Néanmoins, la vie des poissons ne se limite pas à leur vie d’adulte ! Une équipe de scientifiques a donc cherché à savoir si les poissons étaient en contact des microplastiques dès leur plus jeune âge.
Quel impact pour les jeunes poissons ?
Durant leurs premiers jours de vie, les poissons ne mesurent que quelques millimètres et passent le plus clair de leur temps dans la zone pélagique (c’est-à-dire les parties autres que les côtes ou le fond marin) et notamment dans des nappes de surface (courants calmes de surface). Ces très jeunes poissons (ou plus communément appelées larves) sont très vulnérables, et leur survie dépend notamment de la disponibilité de la nourriture.
Les chercheurs Gove et Whitney du Pacific Islands Fisheries Science Center de Honolulu à Hawai se sont demandés dans quelle mesure les larves étaient en contact avec les microplastiques. Pour cela, ils ont fait des prélèvements d’eau de mer au niveau des nappes de surface (où s’accumulent les larves de poissons) pour voir s’il y avait des microplastiques et dans quelle proportion. Ils ont alors observé que ces zones concentrent 60 fois plus de particules de microplastiques que dans les eaux ambiantes.
Plus alarmant encore, ils ont observé qu’il y a près d’une particule de plastiques pour 55 organismes planctoniques. Les planctons sont des organismes microscopiques qui, comme le plastique dérivent au gré des courants et qui sont les proies des larves de poissons. Ainsi les larves ont une chance sur 55 de confondre une proie planctonique avec un microplastique.
Par la suite les chercheurs se sont intéressés à l’ingestion de plastiques par les larves de poissons. Pour cela, ils ont simplement regardé le contenu de l’estomac de larves de plusieurs espèces et ont observé que 6,4 % des larves de poissons présentaient des particules de plastiques dans leur estomac. Parmi les plastiques retrouvés, les chercheurs ont observé une préférence pour les plastiques de couleur bleue ou transparents, c’est-à-dire des plastiques qui ressemblent au plancton. Il est donc fort probable que les larves de poissons confondent leurs proies avec ces particules de plastiques.
Quelles conséquences pour la survie des poissons ?
Comme l’ont démontré ces travaux, les larves sont confrontées très tôt à une grande quantité de microplastiques qu’elles peuvent ingérer. Jusqu’à présent aucune étude n’a démontré une mortalité significative des larves par ingestion de plastiques, ni si cela induit des problèmes lors de leur développement. Cependant on peut supposer que, comme chez les adultes, ces microplastiques soient en mesure de bloquer ou perforer le système digestif et/ou provoquer une malnutrition.
En outre, les débris plastiques peuvent contenir des substances toxiques et des perturbateurs endocriniens, ce qui peut avoir une conséquence désastreuse sur le développement de ces larves. En effet, au cours de leur transition, les larves très différentes des adultes vont subir de nombreux changements morphologiques afin de devenir adulte. Comme la transformation du têtard en grenouille, cette phase appelée métamorphose, est sous le contrôle endocrine des hormones thyroïdiennes. La sole est un exemple spectaculaire de métamorphose chez les poissons. À l’éclosion, la larve de sole naît avec une symétrie bilatérale et possède un œil de chaque côté, puis au cours de sa métamorphose, l’œil gauche migre sur le côté droit. Ainsi, les microplastiques pourraient perturber le développement des poissons, et la conséquence de cette pollution serait encore plus grave que celle imaginée.
Depuis les années 1930, la production et la consommation de produits plastiques ont augmenté de façon exponentielle avec pour résultat une pollution plastique en constante augmentation dans les océans. Nous savions que les poissons pouvaient ingérer des plastiques, mais nous étions encore loin d’imaginer que les poissons étaient confrontés dès leurs plus jeune âge à cette pollution. Au vu de ces études, il est important de se demander quels seront les impacts sur le long terme sur la survie des poissons. Êtes-vous prêts à imaginer des océans sans poissons ?
Pauline Salis est chercheuse postdoctorale en biologie marine à l'Observatoire océanologique de Banyuls-Sur-Mer (Sorbonne Université / CNRS).
Mathieu Reynaud, PHD Student, École pratique des hautes études (EPHE)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.