L’Institut de la Vision à la pointe des techniques d’imagerie
Domaine majeur de l’Institut de la Vision, l’imagerie revêt de multiples facettes. Elle peut être mise au service du diagnostic pour suivre l’évolution des pathologies chez les patients. Elle a des applications médicales lorsqu’il s’agit de comprendre le développement des cellules souches de la rétine pour la thérapie cellulaire. Elle devient scientifique quand elle est utilisée pour visualiser les circuits neuronaux en jeu dans la vision.
« Les diagnostics des maladies rétiniennes reposent bien plus sur les techniques d'imagerie que sur des examens biologiques », indique Michel Paques, professeur à Sorbonne Université. Chef de service à l’hôpital des Quinze-Vingts, il est aussi l’initiateur de l’unité d'imagerie transdisciplinaire Paris Eye Imaging Group située aux Quinze-Vingts. L’objectif de cette plateforme, à laquelle plusieurs équipes contribuent, est de développer des prototypes d'imagerie jusqu'à leur utilisation clinique chez les patients. « Nous essayons de maitriser l’ensemble de la chaine de l'information clinique afin de mettre en place des systèmes d'imagerie robustes et efficaces pour nous renseigner sur les maladies », souligne l’ophtalmologiste.
La clinique comme cap
Ce qui guide le développement de ces innovations reste avant tout la clinique car « toutes les questions que l’on se pose sont initiées par la pathologie », insiste Michel Paques. Le but est de mieux comprendre les mécanismes des maladies courantes de l'œil que sont notamment la rétinopathie diabétique, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et le glaucome. « Nous cherchons à comprendre quels sont les mécanismes cellulaires liés au processus de dégénérescence afin d’identifier les facteurs qui pourraient être modulés sur le développement des maladies », précise-t-il.
Pour développer ces innovations, les médecins travaillent main dans la main avec d’autres scientifiques. Afin de créer entre eux une culture commune, Michel Paques a mis en place, dans son service, des réunions hebdomadaires interdisciplinaires. « Cela permet au physicien qui propose un système d’imagerie, à l’informaticien qui analyse les images, au biologiste qui connaît les structures microscopiques, à l’ophtalmologiste et à l’orthoptiste qui voient les patients, de mutualiser leurs compétences pour avancer ensemble au service du patient. » Grâce à cette collaboration, les chercheurs et cliniciens ont constitué au fil du temps une base d'images unique au monde, qui sera exploitée dans le cadre de l’institut hospitalo-universitaire FOReSIGHT porté par la Fondation Voir et Entendre.
La liste des cellules détectables s'allonge régulièrement . Dans l'avenir, Michel Paques espère mettre en œuvre, avec ses équipes, de nouveaux systèmes d'imagerie, comme l'optorétinographie développée par Kate Grieve, une technique qui réunira trois examens en un pour visualiser, directement sur le patient, l’activité des cellules rétiniennes. Il souhaite également aller plus loin grâce à l'imagerie computationnelle développé par Michael Atlan qui permettra de retravailler des images afin de mieux visualiser les cellules. « Tous ces systèmes forment une boite à outils pour observer certains phénomènes visuels, comme l'évolution des maladies à l'échelle cellulaire, et guider de nouvelles thérapies », rappelle le médecin.
La physique au service de l’ophtalmologie
Parmi les physiciens qui travaillent sur la plateforme d’imagerie, Kate Grieve en est la cofondatrice avec Michel Pâques et la directrice scientifique. « Il y a une véritable demande de la part des ophtalmologistes pour améliorer la résolution et la vitesse d'acquisition des données, mieux voir les différentes couches des tissus, l'apparence des vaisseaux, etc. Plusieurs fois par semaine, nous nous réunissons pour étudier ensemble les solutions d’imagerie innovantes que nous pouvons proposer aux patients. Nous utilisons des machines haute résolution uniques au monde pour lesquelles nous participons à des études internationales », souligne la physicienne qui œuvre depuis longtemps en ophtalmologie. Durant son parcours universitaire, Kate Grieve a développé une technique, appelée tomographie par cohérence optique (OCT) plein champ, permettant de visualiser les différentes couches cellulaires de la rétine et de la cornée de façon non invasive. Elle a ensuite travaillé sur l'optique adaptative. Aujourd’hui utilisée en routine, cette technique, dérivée de l’astronomie, permet de regarder les cellules avec une résolution optimale en corrigeant les déformations provoquées par la cornée, le cristallin et les larmes. Avec cette technique, la physicienne s’intéresse également aux biomarqueurs des pathologies courantes de la rétine. Son objectif : automatiser leur détection et suivre leur évolution.
Depuis quelques années, elle a rejoint l’Institut de la Vision en tant que directrice de recherche Inserm. Avec son équipe, elle a mis au point un microscope qui permet de voir en 3D, couche par couche, les cellules vivantes de la rétine de façon non invasive et sans agent de contraste. « Cette technique permet d’ajouter un aspect fonctionnel à l'imagerie classique. Grâce à ce microscope, installé depuis peu à l’Institut de la Vision, nous pouvons voir la structure des cellules, mais aussi leur activité », explique la physicienne. Elle permet aussi de voir la transformation des cellules souches indifférenciées en cellules rétiniennes organisées sous forme d’organoïdes. « On peut modéliser des maladies en induisant une pathologie dans ces organoïdes et en suivant son évolution au niveau des cellules », indique-t-elle. Cette résolution cellulaire sur tissu vivant constitue un véritable espoir pour mieux comprendre les mécanismes de dégénérescence cellulaire et développer de nouvelles approches thérapeutiques.
Un arc-en-ciel de neurones
En parallèle de la plateforme d’imagerie, d’autres équipes de l’Institut de la Vision ont développé des approches plus fondamentales, mais non moins essentielles. C’est le cas notamment du neurobiologiste Jean Livet. Avec les Américains Jeff Lichtman et Joshua Sanes, il a mis au point un système d’imagerie génétique appelé « Brainbow ». Cette méthode permet de « peindre » les cellules nerveuses avec différentes couleurs, grâce à des protéines fluorescentes. Avec ces couleurs, les scientifiques peuvent distinguer individuellement les neurones et suivre leurs prolongements pour l’étude des circuits neuronaux.
En collaboration avec d’autres scientifiques, son équipe continue d’améliorer cette méthode en adaptant le marquage multicolore pour suivre le lignage cellulaire dans la rétine et le cerveau. « Notre objectif est de cartographier les réseaux neuronaux à l’échelle cellulaire, et de retracer leur développement », explique Jean Livet. Avec l’équipe d’Emmanuel Beaurepaire du laboratoire d’optique et biosciences à l’Ecole polytechnique, il a également mis en place une nouvelle technique de microscopie pour reconstruire en 3D et en couleur les tissus marqués à l’échelle du micromètre. « On peut ainsi positionner les cellules dans le cerveau et visualiser en détail leur morphologie ».
En combinant cette approche d’imagerie 3D avec le marquage Brainbow, les chercheurs peuvent mieux comprendre comment un tissu complexe comme le tissu nerveux, se construit et s’organise à l’échelle cellulaire, ce qui a d’importantes répercussions pour la compréhension des maladies neuro-développementales. Plus récemment, ils ont aussi introduit des outils génétiques qui ouvrent de nouvelles perspectives pour manipuler les cellules neurales et sont potentiellement applicables pour la thérapie génique.