L'ESFRI, un instrument au service de la recherche européenne
Entretien avec le coordinateur du projet ESFRI SLICES, Serge Fdida.
Créé en 2002, le Forum Européen consacré aux infrastructures de Recherche (European Strategic Forum for Research Infrastructures - ESFRI) est un instrument européen qui concourt au développement de l'espace européenne de la recherche. Il constitue un cadre de collaboration entre les états auquel la France et Sorbonne Université participent activement.
Quels sont les objectifs et les enjeux de l'ESFRI ?
Serge Fdida : Sa mission consiste à soutenir une approche cohérente et stratégique de l'élaboration des politiques sur les infrastructures de recherche en Europe, et à faciliter les initiatives multilatérales conduisant à une plus forte utilisation et à un meilleur impact des infrastructures de recherche, au niveau européen et international. Ceci permet également de développer l’accès compétitif et ouvert à des instruments scientifiques de qualité et d’ampleur internationale.
Cette approche vise à éviter la fragmentation de politiques individuelles en organisant une stratégie d’investissement conjointe entre l’Europe et les états membres. Elle permet aussi une réponse rapide et adaptée à l’évolution accélérée des frontières de la science au service des communautés scientifiques et de la société. Les délégués de l'ESFRI sont nommés par les ministères compétents des états membres avec la participation des représentants de la commission, faisant de l’ESFRI un outil de coordination des stratégies nationales et européennes au niveau politique et scientifique.
Dans quel contexte a-t-il été mis en place ?
S.F. : Le Conseil Européen a créé l'ESFRI en 2002 avec l’objectif de proposer une feuille de route permettant la programmation et le déploiement d’infrastructures de recherche pan-européennes cohérentes et stratégiques pour la science et la compétitivité de l’Europe. L'ESFRI a publié sa première feuille de route (« roadmap ») en 2006. Elle est mise à jour régulièrement avec les nouveaux projets issus d’une sélection drastique. La roadmap 2021 vient juste d’être publiée.
L'ESFRI traite de tous les champs disciplinaires et est organisé en six groupes de travail couvrant l’ensemble des thèmes scientifiques. L’objectif est essentiel puisqu’il vise à garantir un accès à des infrastructures de recherche de premier plan aux scientifiques européens afin de développer une recherche de pointe. L'ESFRI contribue également à partager les bonnes pratiques et définir des conditions d’accès ouvertes et équitables à ces infrastructures.
Comment rentre-t-on dans la feuille de route de l'ESFRI ?
S. F. : Le processus est complexe car les exigences de l'ESFRI sont très fortes, dans l’objectif d’aboutir à une mise en service et au regard des investissements nécessaires (l’exemple le plus emblématique est celui d’un télescope !). Les projets doivent suivre un cycle dans lequel chaque étape est validée par la vérification de contraintes d’objectifs minimum à satisfaire avant de pouvoir entrer dans la phase suivante (conception, design, préparation, implémentation, opération, décommisionnement). La durée de vie de l’instrument, en fonction de sa nature, varie de 10 à 20 ans.
À combien s'élèvent les investissements ESFRI ?
S.F. : L'ESFRI correspond à un investissement global de 25 milliards d’euros. Les 11 nouveaux projets sélectionnés pour entrer sur la feuille de route 2021 représentent un investissement de 4 milliards d’euros auprès de différentes sources de financement. Cela montre que la bonne échelle pour équiper les communautés scientifiques d’infrastructures de recherche de classe mondiale est l’Europe, par rapport au montant des investissements nécessaires, tant au niveau des technologies que des moyens humains et de la compétition internationale. Les projets qui entrent dans la feuille de route doivent ensuite se structurer pour devenir autonomes, et prennent donc une forme juridique spécifique (ERIC ou AISBL pour la majorité), une gouvernance dans laquelle les ministères et organismes sont représentés, un bureau muni des ressources humaines nécessaires et un plan de financement.
Quelle est l'implication de Sorbonne Université dans l'ESFRI et quel est l'impact de cet instrument pour notre université ?
S. F. : Sorbonne Université possède une grande expérience dans le développement et les opérations de plateformes de test dans le domaine des infrastructures numériques (réseaux, internet des objets, cloud et systèmes distribués). En effet, nous avons installé en 2007 et opérons toujours sur la plateforme internationale PlanetLab Europe, OneLab en 2010 financée par la commission européeenne. FIT (2011), lauréat du premier Equipex, a été inscrit sur la feuille de route des infrastructures de recherche nationales (IR) en 2018.
Ces plateformes ne sont pas des démonstrateurs mais suivent les principes communs des instruments scientifiques en termes d’utilisation, d’accès, d’ouverture et d’opération. Par exemple, PlanetLab a été cité plus de 18000 fois dans des publications scientifiques qui l’ont utilisé afin d’apporter une validation expérimentale de leurs recherches. L’enjeu que nous avons relevé avec le soutien d’Allistene, était de proposer et de déployer le premier instrument scientifique de l'ESFRI dans le domaine des sciences du numérique. En effet, et même si cela peut surprendre, il était encore considéré que les équipements informatiques de production étaient suffisants pour accompagner notre recherche, ce qui n’est bien sûr pas le cas, car ils ne sont pas contrôlables. Pour cela, il a fallu convaincre l'ESFRI et les experts des autres domaines scientifiques.
Sorbonne Université a coordonné cet effort depuis 2017, avec la co-coordination de l’INRIA, la participation de plusieurs organismes français et surtout de 15 états membres, dont 12 se sont déjà engagés dans un soutien politique de notre infrastructure, associant universités et organismes de recherche sur toute l’Europe.
Sorbonne Université possède déjà une expérience de coordination dans l'ESFRI avec l'EMBRC (European Marine Biological Resource Center) entré sur la feuille de route en 2008. L’impact pour Sorbonne Université est essentiel car, au-delà des discours, elle démontre ainsi qu’une université peut coordonner des projets et instruments scientifiques nationaux, voire européens, si elle s’en donne les moyens.
Nous espérons que SLICES, que je coordonne et qui vient de rentrer dans la feuille de route 2021 de l'ESFRI, permettra de consacrer l’excellence et la capacité de Sorbonne Université à jouer ce rôle sur un thème dont l’impact en termes de formation, de dimension économique et sociale et de souveraineté est essentiel.
SLICES (Scientific Large-scale Infrastructure for Computing/ Communication Experimental Studies (SLICES)
SLICES a pour mission de déployer une plateforme informatique virtualisée, distribuée et complétement programmable conçue pour soutenir la recherche expérimentale à grande échelle axée sur les protocoles Internet, les technologies radio (5G, 6G), les services, l’internet des objets, l'informatique parallèle et distribuée.
SLICES apportera une contribution fondamentale à la recherche et à l'innovation en sciences du numérique et en particulier dans le domaine des infrastructures numériques, fondamentales pour le fonctionnement et le développement de nos sociétés. Il contribuera également à l'agenda européen pour relever les défis sociétaux, et en particulier, la double transition numérique et écologique.
L’instrument sera distribué en Europe, le nœud central étant localisé en France. Une coordination est également discutée au niveau international, en particulier, avec des initiatives similaires aux États-Unis et en Asie.