"Les stéréotypes de genre agissent à tous les niveaux"
Entretien avec Michela Petrini, chargée de mission Égalité de Sorbonne Université jusqu'en 2021.
Sorbonne Université et le Théâtre de la Ville se sont associés pour réaliser un court-métrage sur les stéréotypes de genre dans les comités de sélection. À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, Michela Petrini, chargée de mission Égalité jusqu'en 2021, revient sur ce projet et les différentes actions mises en place pour promouvoir l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à Sorbonne Université.
Comment est née l’idée de ce court-métrage ?
Michela Petrini : Dans la carrière des enseignants-chercheurs, la sélection pour passer de maître de conférences à professeur des universités est un moment où l’inégalité entre femmes et hommes est manifeste. Un rôle majeur est joué par les stéréotypes de genre auxquels les femmes comme les hommes sont sujets. À Sorbonne Université, nous avons mis en place un certain nombre d’outils à disposition des comités de sélection pour lutter contre ces biais implicites. Parmi eux, nous avons eu l’idée, avec la précédente vice-présidente en charge des personnels et de l’égalité professionnelle, Stéphanie Bonneau, de réaliser un court-métrage dans le cadre d’une convention de partenariat signée par l’université avec le Théâtre de la Ville. L’écriture du film est le résultat d’un travail collectif avec les acteurs et le directeur du théâtre. Les comédiens nous ont d’abord interrogées sur le déroulement d’un comité de sélection, les personnes qui y participent, leurs interactions, la façon dont elles s’expriment, etc. Puis, nous avons co-écrit les dialogues en ayant le souci de ne pas tomber dans une représentation caricaturale de ces stéréotypes de genre.
Le film a été montré au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) qui a souhaité le proposer à d’autres universités françaises. Il est disponible sur la chaîne Youtube de Sorbonne Université et sera montré aux membres des comités de sélection dès cette année.
Pouvez-vous nous citer un exemple de stéréotype de genre ?
M. P. : Par exemple, si une jeune femme travaille avec une personne très reconnue dans un domaine, on dira qu’elle n’est pas indépendante dans sa recherche, alors que pour un homme, on dira qu’il est très compétent car cette personne aura choisi de travailler avec lui. Pour une femme, les qualificatifs qui reviennent souvent lors des comités de sélection sont : « carrée », « sérieuse », « qui travaille beaucoup ». Alors que pour un homme, ce sont : « génial », « créatif », « original ». Or ces différences influencent les décisions du comité.
Pourquoi est-il important de sensibiliser la communauté universitaire à ce type de stéréotype ?
M. P. : Sorbonne Université n’échappe pas aux phénomènes qui sont à l’œuvre dans le reste de la société et ont un impact sur les rémunérations et sur les carrières des femmes et des hommes. D’une part, on constate une ségrégation horizontale (“paroi de verre”) : les femmes sont globalement plus présentes dans les fonctions supports, souvent moins rémunérées, et moins présentes parmi les personnels d’enseignement et de recherche. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. À Sorbonne Université, les femmes représentent en 2020 environ 61,6 % des personnels administratifs titulaires, mais ne constituent que 40,8 % des personnels d’enseignement et de recherche titulaires.
D’autre part, cette ségrégation s’accompagne d’une ségrégation verticale (“plafond de verre”) : quelle que soient les fonctions, les femmes sont surreprésentées en bas de la hiérarchie et sous-représentées dans le haut de la hiérarchie et les fonctions de direction. Par exemple, les femmes, toutes disciplines confondues, représentent 45,6 % des maîtres de conférences, mais seulement 28,6 % des professeurs de l’université. Il est donc important d’agir.
Cela passe par quelles actions ?
M. P. : Il y a un gros travail pour lutter contre les stéréotypes de genre qui agissent à tous les niveaux. Cela commence par l'éducation des filles et des garçons à l'école. Des études ont clairement établi que filles et garçons sont traités différemment en classe, les garçons étant plus sollicités quand il s'agit de sciences. Cette intégration des stéréotypes à l'école explique en partie les choix d’orientation des élèves et le manque de filles dans des filières comme les maths, la physique, l’ingénierie, etc.
Avec la direction Science Culture et Société, nous souhaitons renforcer l'action de Sorbonne Université vis-à-vis des écoles en mettant en place une offre de stages pour les collégiens. Le but est double : d'une part, permettre à tous les élèves de découvrir le monde universitaire, et d'autre part, de le faire de façon égalitaire en sélectionnant 50% de filles et 50% de garçons. Nous nous rendons également en tant qu’universitaires dans les écoles, par exemple lors de la journée des femmes scientifiques. C’est primordial pour traiter le problème à la racine. Dans les années à venir, nous voudrions aussi réfléchir à la façon dont faire évoluer l'offre de formation pour la rendre plus inclusive et favoriser la mixité dans les disciplines en déséquilibre.
À l’université, nous avons également mis en place des actions de sensibilisation contre les stéréotypes de genre. Nous avons notamment inclus ce sujet dans le guide qui est distribué à tous les présidents de comités de sélection. Nous devons désormais mesurer l'efficacité de ces actions et nous interroger sur le fait d'imposer, par exemple, des formations plus longues.
Avec le Collège doctoral, nous avons lancé la mise en place d’un mentorat pour les doctorantes et doctorants, sur le modèle de ce qu'a proposé l'association Femmes et Sciences. L’objectif est de faire intervenir des collègues, des alumni et des personnes extérieures, qui travaillent dans le privé comme dans le public, pour parler de leur métier et accompagner des doctorants et doctorantes, en particulier les filles qui choisissent des carrières scientifiques.
Les actions de la mission Égalité concernent aussi la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, n’est-ce pas ?
M. P. : Absolument. Il s’agit de l’autre grand chantier de la mission Égalité. Sorbonne Université doit se doter d’outils de prévention, d’écoute et de prise en charge des victimes de ces violences dont les effets sont dévastateurs. Le mouvement Me-too et une sensibilisation très forte sur ce sujet ont participé à renforcer la demande des étudiantes et étudiants et du personnel pour que les problèmes soient traités rapidement. En 2020 Sorbonne Université a mis en place une cellule externalisée gérée par l’Institut en Santé Génésique qui permet à toute victime ou témoin de violences sexistes et sexuelles qui travaillent ou étudient à l'université d'être accompagné gratuitement. Nous avons développé des formations sur ces violences pour les personnels et les associations étudiantes et nous allons bientôt former les membres des commissions disciplinaires.
Aujourd’hui, Sorbonne Université est présidée par une femme. Est-ce que cela peut accélérer les choses en matière d’égalité ?
M. P. : C’est un symbole important. Sur les 60 présidents et présidentes d’université en France, seulement 19 sont des femmes. Mais il ne suffit pas d'avoir une femme présidente pour que les problèmes d’inégalité soient réglés. La volonté de mettre des ressources et des moyens sur cette mission est indépendante du genre de la personne qui est à la tête de l’institution. Notre précédent président, Jean Chambaz, a d’ailleurs, toujours très fortement soutenu cette lutte et je suis confiante dans le fait que notre nouvelle présidente continuera dans cette direction.
La politique de Sorbonne Université en matière d’égalité
Dès sa création, Sorbonne Université s’est dotée d’outils pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes : elle a adopté une charte de l’Égalité et créé en 2019 une mission Égalité qui s’appuie sur un réseau de référentes et référents au sein des trois facultés. L’objectif est de promouvoir l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que l'égalité de traitement entre les étudiantes et les étudiants, et de lutter contre les discriminations et violences liées au genre. Pour cela, Sorbonne Université s’appuie sur plusieurs dispositifs et notamment la mise en place d’un plan d’action piloté par la Direction des ressources humaines et la mission Égalité.