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Les secrets de l’aquariologie, une science au service de la conservation des mers et des océan

Discipline en plein essor, l’aquariologie – à ne pas confondre avec l’aquariophilie – permet d’étudier, en conditions contrôlées, les organismes aquatiques. Une approche expérimentale précieuse pour la conservation des espèces, qui doit aussi répondre à des exigences de respect du bien-être animal.

De nombreux outils et techniques scientifiques nous aident aujourd’hui à caractériser et à mieux comprendre le fonctionnement des mers et des océans : campagnes océanographiques, biologie moléculaire, plongée scientifique, modélisation mathématique et informatique, acoustique… Autant de méthodes qui apportent des éléments de réponses à des questions scientifiques très diverses dans les domaines de la biologie des espèces, la résilience des écosystèmes ou encore l’impact du changement climatique sur les environnements marins.

Parmi ces approches, l’aquariologie est en plein essor. Elle se définit comme la science de la vie aquatique en aquarium et s’appuie sur des principes biologiques, physico-chimiques, écologiques et éthiques. Elle vise à favoriser le maintien d’organismes marins et d’eau douce en aquarium et le développement de la reproduction de ces espèces en conditions contrôlées.

L’aquariologie constitue donc un outil « in vitro » (et ex-situ) qui apporte des éléments complémentaires aux études scientifiques réalisées « in situ », lors de campagnes océanographiques, par exemple.

Une science en plein essor

Les débuts de l’aquariologie datent du XIXe siècle. Ce sont des travaux réalisés sur une espèce de mollusque céphalopode, l’Argonaute, qui ont jeté les bases de cette discipline. Pour la première fois, la scientifique qui les a menés, Jeanne Willepreux-Power, a pu étudier les caractéristiques de cette espèce en observant des individus vivants. Jusqu’ici les travaux sur cet animal n’avaient pu être réalisés que sur des échantillons conservés, pour la plupart, dans de l’alcool ou du formol.

En s’installant en bord de mer pour réaliser ses recherches, la scientifique a posé les fondements du maintien en captivité de cette espèce. Par la suite, d’autres scientifiques lui ont emboîté le pas, comme Henri de Lacaze-Duthiers, spécialiste à la fin du XIXe siècle de l’étude du corail rouge en aquarium.

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Depuis, l’aquariologie n’a cessé d’évoluer grâce à la progression de techniques et de méthodes inspirées de l’aquaculture, de la médecine vétérinaire, du traitement de l’eau, de la nutrition, de l’électronique, etc. L’aquariophilie, loisir en plein essor depuis le milieu du XXe siècle, a également fortement contribué à son développement.

Parce que la clé de l’aquariologie est la possibilité de maintenir en aquarium les organismes marins et d’eau douce, l’évolution des techniques garantissant d’excellentes conditions d’éclairage, d’alimentation ou de qualité d’eau par exemple, est cruciale au succès de cette discipline. Ces technologies sont en constante évolution et élargissent ainsi chaque année les horizons d’expérimentation.

Aujourd’hui, les progrès réalisés aident à répondre à un très large panel d’interrogations scientifiques dans les domaines de la recherche, en écologie et biologie marines et de la conservation. Penchons-nous sur quelques exemples concrets.

Mesurer l’impact des crèmes solaires sur les coraux

Les récifs coralliens, qui abritent une biodiversité exceptionnelle, sont soumis à de multiples pressions humaines. Elles subissent en particulier les effets du changement climatique.

Dans certaines zones très touristiques, les coraux sont parfois exposés à des concentrations importantes de molécules appelées filtres solaires. Ceux-ci constituent le principe actif des crèmes solaires que nous appliquons pour nous protéger des effets extrêmement néfastes de l’exposition au soleil.

Afin de déterminer l’impact de ces molécules sur les milieux naturels marins, et spécifiquement sur les coraux, des recherches sont menées de nos jours en aquarium, pour tester l’effet des différentes molécules utilisées actuellement comme filtres solaires sur ces animaux particulièrement sensibles.

Citons quelques-uns des tests qu’il est possible de réaliser en aquarium pour évaluer leur impact éventuel sur la physiologie des coraux : exposition à des concentrations graduelles de filtres solaires, simulation d’un stress provoqué conjointement par les filtres solaires et par des températures anormalement élevées…

Les résultats de ces travaux devraient permettre aux industriels et aux législateurs, à court terme, de sélectionner des molécules moins nocives pour l’environnement marin.

Étudier un crabe bleu envahissant

Prenons maintenant un autre exemple. Depuis une dizaine d’années, les côtes méditerranéennes sont soumises à l’explosion démographique d’une espèce de crabe originaire d’Amérique du Nord, le crabe bleu américain.

Cette espèce prédatrice, très probablement arrivée dans les eaux méditerranéennes au stade larvaire via les eaux de ballast des cargos, a pris ses quartiers dans de nombreuses lagunes et estuaires européens et provoque des dégâts considérables sur la faune et la flore qui résident habituellement dans ces zones.

Le crabe bleu américain, une espèce exotique envahissante qui colonise les lagunes et estuaires de Méditerranée. Pascal ROMANS -- OOB -- Sorbonne Université, Fourni par l'auteur

Comment estimer ces impacts ? Quels sont les points faibles potentiels d’une espèce exotique envahissante en milieu marin ? L’aquariologie apporte, encore une fois, des éléments de compréhension à ce type d’interrogations.

En effet, les études réalisées en aquarium permettent d’analyser la réponse physiologique du crabe bleu à des variations contrôlées des paramètres environnementaux en aquarium, d’évaluer son régime alimentaire et son comportement vis-à-vis de ses proies et de ses prédateurs éventuels. De quoi compléter les suivis menés en milieu naturel et donner aux gestionnaires d’espaces marins des éléments décisifs pour protéger les milieux naturels envahis par cette espèce.

Conserver un coquillage géant patrimonial

Il existe en Méditerranée un coquillage géant, une sorte de grande moule plantée à la verticale dans les fonds sableux ou les herbiers de Posidonies (une plante marine qui forme des prairies), qui porte le nom de grande nacre.

Cette espèce, un des plus grands coquillages connus, peut atteindre un mètre de hauteur. Elle est endémique en Méditerranée, où il s’agit d’une espèce protégée. Depuis 2016, les populations de grandes nacres sont victimes de l’attaque d’un parasite dont on n’identifie pas clairement aujourd’hui l’origine.

Ce parasite microscopique a ainsi entraîné en quelques années la quasi-disparition des stocks de grande nacre à l’échelle de toute la Méditerranée. Seules quelques populations de cette espèce résistent dans des lagunes côtières telles que l’étang de Thau ou l’étang de Salses-Leucate.

Maintenir une population de grande nacre en aquarium sous la forme d’un conservatoire, à l’abri du parasite, réussir la reproduction en captivité de cette espèce patrimoniale, tester d’éventuels traitements… Tels sont les enjeux aujourd’hui de l’aquariologie au sujet de cet animal fascinant. Le défi, difficile à relever, mobilise de nombreux spécialistes de cette espèce au niveau européen.

Respecter l’animal et informer le grand public

Ces différentes études en aquariologie, qui pour certaines relèvent de l’expérimentation animale, doivent donc à ce titre tenir compte du bien-être animal. Aujourd’hui, il s’agit d’un enjeu obligatoire et incontournable : il s’agit de s’assurer que les travaux scientifiques menés, en particulier dans le cadre de projets de conservation, affectent a minima les organismes hébergés en aquarium.

Cette dimension est au cœur des préoccupations des scientifiques. La réglementation cadre toutes ces activités – c’est un aspect majeur et crucial dans le développement des nombreuses études fondées sur l’utilisation d’animaux en laboratoire.

L’aquariologie se développe, en outre, bien au-delà des laboratoires de recherche. La discipline se déploie également au sein des aquariums publics et de certains centres de culture scientifique dédiés à la mer et aux océans. L’objectif est alors de présenter au plus grand nombre (touristes, scolaires, etc.), les richesses de nos rivières, de nos mers et de nos océans et d’informer sur les menaces qui pèsent sur ces écosystèmes.

Participer à des programmes de conservation est aussi au cœur de l’activité de ces établissements. Ainsi, en France, par exemple, aquariums publics et instituts de recherche unissent aujourd’hui leurs efforts dans le cadre d’une initiative portée par l’Institut de l’Océan de l’Alliance Sorbonne-Université pour faire de l’aquariologie un outil encore plus performant, qui réponde aux enjeux de recherche actuels de la biologie et de l’écologie marine.


Pascal Romans, Responsable du Service Mutualisé d’Aquariologie, Observatoire Océanologique de Banyuls (Sorbonne Université - CNRS), Sorbonne Université et Rémi Pillot, Responsable-adjoint du Service Mutualisé d’Aquariologie, Observatoire Océanologique de Banyuls (Sorbonne Université - CNRS), Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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