Sur l'autoroute du Littoral à Marseille, un panneau de limitation de la vitesse, réduite à 70km/h en raison de la canicule qui augmente les risques de pollution à l'ozone. GERARD JULIEN/AFP
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Les paradoxes de l’ozone, à la fois protecteur, polluant et gaz à effet de serre

Saviez-vous qu’il existait un « bon ozone » et « un mauvais ozone » ? Retour sur cette molécule aux facettes multiples.

Saviez-vous qu’il existait un « bon ozone » et « un mauvais ozone » ? Et que cette molécule pouvait être, selon l’altitude où elle se situe, soit d’une absolue nécessité pour la vie sur terre, soit un gaz à effet de serre doublé d’un polluant néfaste pour la santé ? Retour sur ce que la science sait, ou ne sait pas encore de cette molécule aux facettes multiples et encore pleines de mystères.

Une molécule identifiée en 1840

 

Naturellement présent dans notre atmosphère, l’ozone a été identifié par le chimiste suisse allemand C.F. Schönbein en 1840 lors d’expériences en laboratoire. La composition chimique de cette molécule faite de trois atomes d’oxygène (O3) n’a été découverte que quelques années plus tard en 1865. Le mot ozone provient lui du mot latin « ozein » qui signifie « sentir » car ce gaz a une senteur caractéristique qui permet de le détecter. C’est l’odeur que produit par exemple une imprimante pendant un tirage, car la haute tension nécessaire pour imprimer peut produire une décharge électrostatique assez importante pour décomposer l’oxygène et générer cette odeur.

Selon que l’ozone est dans la stratosphère (entre 15 et 35 kilomètres au-dessus de nous) ou dans la troposphère (à moins de 10 km d’altitude) il peut jouer un rôle radicalement différent pour la vie sur terre. C’est là peut-être son plus grand paradoxe.

Dans la stratosphère, il conditionne la vie sur la planète. Après l’oxygène et l’azote, c’est le constituant réactif le plus abondant. C’est là qu’on trouve 90 % de l’ozone atmosphérique qui fonctionne alors comme un bouclier protecteur en absorbant la plupart des rayons ultraviolets nocifs. L’ozone empêche ainsi ces rayonnements destructeurs de l’ADN d’atteindre la surface de la Terre.

Mais dans les années 1980, les scientifiques prennent conscience d’une réalité inquiétante : les activités humaines ont perturbé la couche d’ozone, au point qu’un trou s’y développe chaque année en printemps menaçant ainsi directement la vie sur terre. Cette situation inédite génère alors une réaction sans précédent, conduisant à mettre au point le premier protocole environnemental d’envergure internationale : le protocole de Montréal en 1987. Cet accord ratifié par 197 états a en effet permis la réduction graduelle des substances menaçant la couche d’ozone, principalement les chlorofluorocarbures et les halons, utilisés notamment pour la réfrigération et la climatisation.

Les 10 % d’ozone restant sont distribués dans l’atmosphère plus proche de la surface (entre 0 et environ 10 km) où se trouvent les activités humaines. Il s’agit de l’ozone troposphérique qui devient, à cette altitude, un polluant atmosphérique aux effets délétères pour la végétation et la santé humaine, lorsque les 14 000 litres d’air par jour que nous respirons en moyenne sont particulièrement chargés en ozone. Cet ozone troposphérique est aussi un gaz à effet de serre important issu des activités humaines.

L’impact de l’ozone sur la santé et la végétation

La façon dont il se constitue demeure cependant encore difficile à comprendre car la chimie qui mène à la formation de l’ozone est complexe. Plusieurs centaines de réactions dans l’atmosphère peuvent de fait générer de l’ozone sous l’effet d’un ensoleillement important et de températures favorables. Ceci est dû au fait que les précurseurs de l’ozone, c’est-à-dire les composés pouvant, en réagissant entre eux, générer de l’ozone, sont très nombreux. On peut cependant en identifier quelques-uns des principaux comme les oxydes d’azotes (NOx) émis par le trafic automobile et les industries, ainsi que les composés organiques volatils (COV) générés par les activités humaines et émis par la végétation.

L’ozone troposphérique est donc un polluant dit secondaire car il n’est pas émis directement à la surface de la Terre. Les épisodes de pollution à l’ozone sont souvent enregistrés au printemps et en été, et ce pour plusieurs raisons : la lumière solaire est plus intense et les jours sont plus longs, fournissant plus d’énergie pour les réactions photochimiques nécessaires à la formation de l’ozone. Les températures élevées augmentent elles le taux d’émissions des précurseurs (notamment les COV) et en général, une température plus élevée augmente la vitesse de réaction des précurseurs de l’ozone, conduisant à une production plus rapide et plus abondante d’ozone.

Ce composé est nocif pour la santé humaine, il irrite les voies aériennes supérieures et il a également un effet phytotoxique, altérant les principaux processus physiologiques des plantes. En effet, de petites tâches nécrotiques sur la surface des feuilles peuvent se former, réduisant la photosynthèse et par conséquent, la productivité des cultures, les rendements agricoles. Les scientifiques estiment ainsi les pertes de rendement agricoles globales actuelles d’environ 3 % pour le maïs et le riz et de 7 % environ pour le soja et le blé.

Les plantes ont des pores microscopiques sur leurs feuilles appelés stomates : les plantes les ouvrent et les ferment pour « respirer ». Ainsi, lorsqu’elles sont ouvertes, les gaz de l’air dont l’ozone peuvent pénétrer à l’intérieur des feuilles par les stomates et endommager certaines parties des cellules de la feuille. Gerald Holmes, NASA North Carolina State University, CC BY

La complexité de la chimie de l’ozone ne s’arrête pas là : les NOx et les COV sont en compétition pour former ou bien détruire l’ozone. Une qualité d’air médiocre avec une concentration élevée d’oxydes d’azote peut dès lors détruire l’ozone. C’est un constat qu’on a pu déduire dans nos travaux : les concentrations d’ozone sont généralement plus élevées dans les campagnes, à 50 ou à 100 km des villes polluées. Là, l’ozone a le régime parfait pour y être formé : des concentrations ni trop élevées ni trop faibles d’oxydes d’azote et de COV. Cette réalité est un autre paradoxe de l’ozone. Mais alors que faire pour mieux surveiller cette source de pollution ?

Surveillance et stratégies de réduction d’ozone en Europe

La surveillance des concentrations d’ozone est effectuée par près de 2 000 stations dans toute l’Europe en vertu de la directive de 2008 sur la qualité de l’air ambiant. Les données satellitaires et des modèles de prévision, couplées aux données in situ, nous permettent de cartographier l’ozone et le prévoir. C’est notamment ce que fournit le service de surveillance de l’atmosphère Copernicus (CAMS).

Bilan de la qualité de l’air en île de France. Il n’existe pas de valeur limite réglementaire pour l’ozone. L’ensemble des Franciliens était exposé à des niveaux moyens annuels largement supérieurs aux recommandations de l’OMS. Air Parif, CC BY

Pour diminuer l’ozone dans la troposphère, la stratégie est de réduire les émissions de ses précurseurs. Aujourd’hui, on note des tendances à la baisse pour différents polluants en France. Par exemple, les concentrations en particules fines et des NOx ont baissé en moyenne de 40 % entre 2013 et 2023 en Île-de-France.

Par contre, l’ozone est resté stable sur la même période. On parle de chimie fortement non linéaire. Si les réductions des précurseurs ne sont pas équilibrées, elles peuvent entraîner des résultats inattendus. Par exemple, réduire uniquement les oxydes d’azotes ou uniquement les COV sans réduire l’autre précurseur peut déplacer l’équilibre chimique de manière à maintenir ou même augmenter les niveaux d’ozone. Ceci rend délicate la conception de stratégies : réduire uniformément les émissions de précurseurs ne conduit pas systématiquement à des réductions des niveaux d’ozone. Tous les Franciliens sont de ce fait exposés à des concentrations d’ozone plus grandes que les seuils fixés par l’Organisation mondiale de la santé.

Les effets de l’ozone troposphérique, et en général de tout polluant atmosphérique, ne sont toutefois pas qu’une question locale. Les concentrations des polluants dépendent aussi du transport du polluant lui-même, ou de ses précurseurs, à partir de sources parfois situées à des centaines de kilomètres. Une étude de 2024 a montré que plus de 50 % de la mortalité due à l’ozone en Europe, est associée à l’ozone transporté depuis l’extérieur du continent.

Concentrations futures en ozone

L’agence européenne de l’environnement note dans son rapport sur la pollution de l’air en Europe, que l’exposition à court terme à l’ozone troposphérique a causé 22 000 décès prématurés dans 41 pays européens en 2021 dont 2 370 en France. L’augmentation des températures accélérera le processus chimique de formation de l’ozone troposphérique. Ceci menace aussi la sécurité alimentaire actuelle et future.

Près de deux siècles après son identification, l’ozone reste de fait une molécule à bien des égards mystérieuse.

La compréhension scientifique des cycles chimiques et du comportement physico-chimique des molécules clés de l’atmosphère, comme l’ozone, est donc indispensable pour établir des stratégies politiques et économiques coordonnées entre les pays afin de réduire les risques sanitaires et les impacts des activités anthropiques.


Sarah Safieddine, Chargée de recherche CNRS (LATMOS/IPSL), Sorbonne Université; Camille Viatte, Chercheure au LATMOS/IPSL/CNRS/Sorbonne Université, Sorbonne Université et Cathy Clerbaux, Directrice de recherche au CNRS (LATMOS/IPSL), professeure invitée Université libre de Bruxelles, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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