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L'art de courir : un modèle mathématique pour optimiser la performance

Rencontre avec Amandine Aftalion et Antoine Le Hyaric.

En collaboration avec le laboratoire Jacques-Louis Lions et Antoine Le Hyaric, directeur adjoint de la spécialité Mathématiques de la modélisation de Sorbonne Université, la mathématicienne Amandine Aftalion, directrice de recherche au Centre d'analyse et de mathématiques sociales (CNRS/EHESS), a développé un modèle pour optimiser la performance en course à pied. Ce nouveau modèle prend en compte des paramètres physiologiques et psychologiques pour conseiller les athlètes sur les meilleures stratégies d'entraînement.

Quels sont les objectifs de votre modèle mathématique ?

Amandine Aftalion : L’objectif principal de ce modèle est de déterminer les meilleures stratégies de course en fonction des capacités physiologiques et psychologiques de chaque athlète. Nous utilisons des techniques d’optimisation pour intégrer les équations relatives au mouvement, à la gestion de l’énergie — qu’elle soit aérobie ou anaérobie — et au contrôle moteur par le cerveau. Le but est d’optimiser l’effort, l’énergie et le temps pour maximiser la performance en course.

Antoine Le Hyaric : Ce modèle est un outil puissant car il permet de simuler différentes stratégies et de prédire leur efficacité en fonction des conditions réelles d’une course.

Quelles données avez-vous utilisées pour développer ce modèle ?

A. A. : L’aspect novateur de cette étude est de pouvoir calculer tous les paramètres physiologiques du coureur simplement à partir des données extrêmement précises recueillies lors des championnats d'athlétisme européens, où les vitesses des coureurs étaient mesurées dix fois par seconde. Le modèle que nous avons développé permet d’avoir accès à toutes les variables du problème que sont la dépense énergétique, la consommation en oxygène (ou VO21), la force, etc. Pour cela, nous avons analysé les données des performances de Matthew Hudson-Smith (400 m), Femke Bol (400 m) et Jakob Ingebrigtsen (1 500 m) aux Championnats d'Europe d'athlétisme 2022 à Munich, et de Gaia Sabbatini (1 500 m) aux Championnats d'Europe d'athlétisme U23 2021 à Tallinn.

A. L. H : Nous avons écrit le code qui résout les équations à partir des travaux du contrôle optimal réalisé par Emmanuel Trélat, directeur du laboratoire Jacques-Louis Lions (Sorbonne Université/CNRS/Université Paris Cité).

Quels sont les principaux paramètres physiologiques et psychologiques pris en compte dans votre modèle et comment influent-ils sur la performance ?

A. A. : Notre modèle intègre divers paramètres. Sur le plan physiologique, nous analysons notamment la force de propulsion, l'énergie anaérobie (qui ne vient pas de l’oxygène) et aérobie (issue de la transformation de l’oxygène). L'énergie aérobie, par exemple, n'est pas constante et atteint son maximum de manière variable en fonction des capacités respiratoires de l’athlète et de la durée de la course.

Nous étudions également des paramètres psychologiques, notamment la motivation. Cette dernière est cruciale car elle impacte directement l'intensité et la rapidité de la réponse motrice de l'athlète. Nous nous sommes appuyés, pour cela, sur une équation développée par le groupe de Mathias Pessiglione, neuroscientifique à l'Institut du cerveau (Sorbonne Université/CNRS/Inserm/APHP).

Une fois que l’on a modélisé la course, on peut ensuite faire varier ces paramètres pour comprendre comment ils impactent la performance. La quantification des coûts et des bénéfices dans le modèle permet d'accéder immédiatement à la meilleure stratégie pour atteindre les performances optimales du coureur.

A. L. H : L'influence de ces paramètres dépend également de la longueur de la course et de la physiologie du coureur car on ne court pas un sprint comme on court un marathon.

En quoi la variabilité du contrôle moteur est-elle importante pour la performance en course à pied ?

A. A. : C'est la première fois qu'un tel modèle prend en compte la variabilité du contrôle moteur, c'est-à-dire le rôle du cerveau dans le processus de production du mouvement. La motivation impacte la performance de deux manières. D’une part, elle agit sur l'intensité d'une action : si l’on est motivé, on peut démarrer plus rapidement sur un sprint ou accélérer en fin de course d’endurance car on est prêt à faire un effort plus important. D’autre part, elle agit sur la rapidité à réagir et à faire l'effort. Si je suis motivé, je vais produire l'effort de manière plus rapide.

Nous avons injecté ces deux paramètres dans le modèle, tout en sachant qu’une variation répétée de l’effort lors d’une accélération ou d’un ralentissement sur une course est très coûteux et qu’il faut la limiter autant que possible dans une course.

Quelles sont les découvertes les plus importantes de votre étude concernant l'optimisation de la performance en course à pied ?

A. A. : Une des découvertes les plus intéressantes concerne la stratégie optimale pour le 400m. Accélérer sur toute la course n’est pas la stratégie qui permet de faire le meilleur temps. Nous avons constaté que partir vite, accélérer sur les 70 premiers mètres, en utilisant essentiellement l’énergie anaérobie, puis atteindre sa vitesse maximale en limitant sa chute sur les 330 mètres restants avec une VO2 max élevée, est le plus efficace.

Pour le 1500m, l'amélioration du métabolisme aérobie (absorption de l’oxygène) et la capacité à maintenir une VO2 élevée pour accélérer en fin de course sont cruciales. Il s’agit de ne pas partir trop fort pour être capable d'accélérer sur les deux derniers tours.

De façon plus générale, ce modèle a permis de montrer qu’il n’était pas suffisant d'entraîner les athlètes avec des conseils uniquement fondés sur la mécanique, mais qu’il était important de prendre en compte la dépense énergétique et le mental.

A. L. H : Nous avons également observé que les couloirs intérieurs sont défavorables pour la performance en raison des contraintes physiques qu'ils imposent. Il faut essayer d’avoir de bons résultats lors des qualifications pour éviter le couloir n°1.

Comment pensez-vous que les athlètes et les entraîneurs pourraient utiliser votre modèle pour améliorer leurs performances lors des Jeux olympiques de Paris ?

A. A. : S’il est aujourd’hui trop tard pour changer la donne des prochains JO, les entraineurs peuvent s'emparer des informations de notre modèle en ciblant les paramètres physiologiques à travailler en fonction de la performance visée.

De façon générale, il y a deux choses à développer chez les athlètes : un débit cardiaque qui permet de transformer beaucoup d'oxygène par unité de temps en énergie et un stock d'énergie anaérobie important. Mais chaque athlète est différent et doit avoir des entraînements ciblés en fonction des capacités à travailler.

Comment votre modèle pourrait-il être étendu à d'autres disciplines sportives ?

A. A. : Pour être validé, le modèle nécessite des donnée GPS très précises et de bonne qualité. Si elles existent, alors la partie mécanique peut être adaptée à d'autres sports de sprint ou d'endurance comme le ski de fond, l’aviron, le vélo, la natation, le patinage de vitesse…

A long terme, ce genre de modèle pourrait également aider à la rééducation d'un patient convalescent qui reprend de l'exercice sur tapis par exemple.

A. L. H : Dans les prochains mois, nous souhaitons améliorer notre modèle pour les pistes intérieures de 200m où les virages sont plus serrés et la force centrifuge plus importante, mais aussi prendre en compte l'interaction entre coureurs.
 


1 Débit d’oxygène transformé en énergie dans les poumons. Il varie au cours d’une course et dépend de la capacité respiratoire qui n’est pas la même pour quelqu'un d’entraîné ou pour quelqu'un qui ne l'est pas.

 

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