La respiration, ce super-pouvoir méconnu
Dans le livre qu’il a coécrit avec Guillaume Jacquemont, Les Superpouvoirs de la respiration, Thomas Similowski nous éclaire sur les liens fascinants entre respiration, cerveau et bien-être.
Professeur de pneumologie et responsable du département "Respiration, Réanimation, Réadaptation respiratoire, Sommeil" à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il revient sur ce geste automatique que nous accomplissons des milliers de fois chaque jour et son impact essentiel sur notre santé physique et mentale.
Qu'est-ce qui vous a amené à écrire ce livre grand public, et pourquoi la respiration est-elle, selon vous, un sujet crucial ?
Thomas Similowski : Les maladies respiratoires, et la respiration en général, sont étonnamment méconnues du grand public et suscitent peu d'intérêt. C'est surprenant quand on sait que près de 10 millions de Français sont affectés par une maladie respiratoire chronique et que le souffle est omniprésent dans la culture, comme en témoignent les nombreuses expressions contenant ce mot dans toutes les langues.
La pandémie de Covid-19 a certes mis ce sujet sous les projecteurs, mais cela n'a pas duré. Maintenant que la crise est passée, nous sommes revenus aux préoccupations habituelles, et même dans les institutions ou dans les plans de santé, la respiration reste curieusement ignorée. Il me semblait donc important de mettre ce sujet sur le devant de la scène. J’avais d’ailleurs co-écrit une BD sur les maladies respiratoires dans cette même démarche d’information auprès du grand public.
Comment vos travaux de recherche ont-ils influencé votre approche du lien entre la respiration et le bien-être physique et mental ?
T. S. : Je suis un pneumologue un peu particulier car contrairement à la majorité de mes collègues, qui se concentrent naturellement sur les poumons, je m’intéresse davantage au cerveau.
La respiration a la particularité d'être contrôlée par le cerveau. Les poumons ne sont donc pas autonomes contrairement à d'autres organes comme le cœur ou l'intestin dont la commande est "intégrée". Ce lien étroit entre le cerveau et la respiration a guidé mes recherches depuis plus de 30 ans. J’étudie d'une part comment le cerveau commande la respiration, et d'autre part, comment la respiration influence le cerveau et impacte notamment nos fonctions cognitives.
On entend beaucoup parler de la respiration dans des pratiques pour le bien-être, comme le yoga, mais il y aussi de nombreuses idées reçues. L'un des objectifs de ce livre est justement d'apporter des éléments scientifiques et de montrer que l'utilisation de la respiration pour améliorer le bien-être physique et mental repose sur des bases physiologiques réelles et validées.
Quelles découvertes récentes sur la respiration vous ont le plus marqué ?
T. S. : Ce qui me fascine le plus dans les avancées récentes, c’est le fait que les neuroscientifiques ont observé que l’activité cérébrale présente des signatures spécifiques liées à la respiration. Des rythmes cérébraux enregistrés par électroencéphalogramme montrent une connexion directe avec la respiration. Ces découvertes ont mené à de nombreuses études, suggérant que la respiration influence directement le fonctionnement de différentes zones du cerveau.
Depuis quelques années, ces travaux ont permis d’établir des liens entre la respiration et les performances cognitives. Dans notre équipe, nous avons été parmi les premiers à montrer qu'en induisant artificiellement un essoufflement chez des sujets, leurs capacités cognitives, comme la concentration, se dégradent de manière significative.
Plus surprenant encore, certaines études publiées récemment montrent que même en l'absence de maladie respiratoire, la respiration peut influencer des processus cognitifs. Par exemple, si on vous demande d'accomplir une tâche, sans contrainte précise, vous l'accomplirez plus souvent lors d'une inspiration que d'une expiration. Cela prouve qu’il existe une interaction active entre respiration et cognition, qui dépasse de loin le simple rôle de synchronisation des rythmes respiratoires.
Que révèle notre souffle sur notre état de santé ?
T. S. : Tout d'abord, j'aimerais souligner un point important : tout le monde sait très bien respirer, contrairement à ce que laissent parfois entendre des professeurs de sport, de yoga, ou de chant. Si vous n'avez pas de maladie respiratoire, vous respirez comme il faut, puisque vous êtes vivants. Vous le faites naturellement. Ce que vous ne savez peut-être pas encore bien faire, c'est utiliser votre respiration pour accomplir des choses plus complexe que simplement respirer, comme par exemple jouer du saxophone ou contrôler votre tonus parasympathique pour se relaxer.
Ensuite, la respiration est un indicateur visible et audible de l'état de santé d’une personne ou de son état émotionnel. En prêtant attention à la façon dont quelqu’un respire, vous obtenez beaucoup d'informations, contrairement à d'autres fonctions comme le rythme cardiaque qui n’est pas directement perceptible par quelqu’un d’extérieur. Par exemple, vous savez qu’une personne va bien et s’est endormie parce que sa respiration devient plus lente, régulière, et fait un bruit différent.
Concernant l'état de santé, il est important de noter qu'il n'est jamais normal d'éprouver de la gêne à faire un exercice simple à cause de l'essoufflement. Si vous devez prendre l'ascenseur parce que monter les escaliers vous essouffle, c'est probablement un signe qu'il faut s'inquiéter de votre santé respiratoire et consulter un médecin. Dès qu'on ressent une gêne ou de l'anxiété liée à sa respiration, il faut s'en préoccuper.
Comment les émotions affectent-elles notre respiration ? Et inversement, comment la respiration peut-elle aider à réguler nos émotions ?
T. S. : La respiration est directement connectée aux émotions, comme toutes les fonctions vitales, via le système nerveux sympathique (qui excite) et parasympathique (qui calme). Par exemple, si vous êtes stressé, votre corps réagit en accélérant certaines fonctions : vous commencez à transpirer, à trembler, et votre respiration s'accélère. Cela fait partie des réponses physiologiques au stress. On sait aussi que différentes émotions vont affecter la respiration de façon distincte. Par exemple, la joie et la peur ne vous feront pas respirer de la même manière. Il y a donc un lien direct entre les émotions et la façon dont vous respirez.
Inversement, en contrôlant volontairement notre respiration, nous pouvons influencer nos émotions et notre état mental. C'est le principe de base de nombreuses techniques de relaxation et de méditation. En ralentissant et en approfondissant notre respiration, nous pouvons activer le système nerveux parasympathique, ce qui aide à réduire le stress et l'anxiété.
Quels sont les mécanismes physiologiques en jeu ?
T. S. : Lorsque vous respirez profondément et que vos poumons se gonflent, ils envoient des signaux au cerveau qui stimulent le système parasympathique. Cette "décharge parasympathique" synchronise et ralentit les ondes cérébrales, diminue la fréquence cardiaque et abaisse la pression artérielle, procurant ainsi une sensation de calme.
D’autres processus, comme l’attention à la respiration, entrent également en jeu. Comme la respiration est automatique, il faut y penser pour pouvoir la modifier. Dès que vous arrêtez d’y penser, vous revenez à votre rythme naturel. Ce principe de concentration sur la respiration est aussi central dans la méditation car il aide à réduire les pensées parasites.
Vous proposez plusieurs exercices pour maîtriser son souffle. Quels sont les plus efficaces pour une utilisation quotidienne ?
T. S. : Le premier exercice simple est de prendre conscience de sa respiration. En général, on ne remarque même pas que l’on respire. Mais en y prêtant attention, en sentant l’air passer dans le nez ou la cage thoracique se soulever, cela peut déjà avoir un effet apaisant.
Ensuite, ralentir et amplifier sa respiration est un excellent moyen de favoriser la relaxation. Il ne s’agit pas seulement de respirer plus lentement, mais aussi de prendre des respirations plus profondes. Si votre métabolisme a besoin de 10 litres d'air par minute et que vous respirez 1 litre à chaque inspiration, cela correspond à 10 respirations par minute. Si vous voulez réduire ce rythme à 5 respirations par minute, vous devrez inhaler 2 litres d'air à chaque fois. Si vous essayez de ralentir votre respiration sans augmenter ce volume, vous manquerez rapidement d'air, ce qui vous fera vous sentir mal. Donc, quand on parle de respiration lente, il est important de comprendre qu'il s'agit à la fois de ralentir et d’amplifier la respiration.
Il existe différents exercices qui fonctionnent bien. Par exemple, la "respiration en carré" où l’on inspire, retient sa respiration, expire, puis reste poumons vides pendant une durée égale. Mais en réalité, toutes les techniques qui ralentissent la respiration produisent des effets positifs.
Propos recueillis par Justine Mathieu
A lire
Les Superpouvoirs de la respiration de Thomas Similowski et Guillaume Jacquemont paru chez Albin Michel.