La mer en feu : les effets des vagues de chaleur marines sur les forêts de gorgones méditerranéenne
Tout comme les incendies détruisent les forêts d’arbres, les vagues de chaleur marines « brûlent » les forêts de gorgones, entraînant la perte d’un habitat d’une grande valeur écologique.
Sur cette image, nous pouvons observer les effets dévastateurs d’une vague de chaleur marine sur une forêt méditerranéenne de gorgone rouge (Paramuricea clavata). Tout comme les incendies de forêt détruisent les forêts d’arbres, les vagues de chaleur marines « brûlent » les forêts de gorgones, entraînant la perte d’un habitat d’une grande valeur écologique.
Les gorgones sont des coraux, c’est-à-dire des animaux (et non des plantes) composés de centaines de petits polypes munis de tentacules urticants qui capturent leurs proies dans la colonne d’eau. Elles se distinguent des coraux des récifs coralliens par leurs polypes à huit tentacules (au lieu de six) et par leur squelette flexible, composé non de carbonate de calcium, mais d’une protéine appelée gorgonine.
Mais si les gorgones sont des animaux, pourquoi parlons-nous de forêts ?
Les gorgones se caractérisent par une morphologie arborescente et ramifiée, et lorsqu’elles se trouvent en densités suffisamment élevées, elles forment de véritables forêts, très semblables aux forêts d’arbres, à la différence qu’il s’agit d’animaux. C’est pourquoi nous avons dû inventer le terme de « forêts animales ».
Ce parallélisme avec les forêts d’arbres nous permet, d’une part, d’expliquer au grand public les effets dévastateurs des mortalités massives qui touchent ces organismes. En effet, lorsque nous parlons d’une forêt qui brûle, tout le monde comprend la gravité de l’événement, liée à la perte non seulement des arbres qui composent la forêt, mais aussi de toutes les espèces qui y vivent. Tout le monde sait qu’une forêt est un habitat qui abrite de nombreuses espèces animales grâce à ses conditions microclimatiques favorables.
En revanche, lorsque nous parlons d’une mortalité massive de gorgones due au réchauffement de la colonne d’eau, le message est moins efficace car personne ne tient compte du fait que ce ne sont pas seulement les gorgones qui meurent, mais que toute la biodiversité associée est perdue, c’est-à-dire tous les animaux qui trouvent refuge au sein des forêts de gorgones.
Ainsi, pour comprendre l’ampleur des dégâts causés par les vagues de chaleur marines, il faut imaginer un instant ces forêts sous-marines, un monde foisonnant de vie et de couleurs, abritant une multitude de créatures fascinantes. Tout comme une forêt terrestre offre refuge à une variété d’animaux, les gorgones servent de maison à un éventail diversifié d’espèces marines, des poissons aux crustacés en passant par les invertébrés. Ces précieuses communautés marines prospèrent au sein de ces forêts animales, chacune jouant un rôle crucial dans l’équilibre délicat de l’écosystème.
Du point de vue scientifique, le parallélisme avec les forêts d’arbres nous permet d’utiliser tous les outils intellectuels et pratiques développés par l’écologie forestière et de les appliquer à l’étude de l’environnement marin.
Comment les vagues de chaleur marines provoquent-elles la mort des coraux ?
Sur la photo, on voit que la vague de chaleur provoque des nécroses tissulaires qui affectent une partie ou la totalité de la gorgone. Les petites parties encore violettes sont les rares parties vivantes d’une gorgone, tandis qu’à côté, on peut voir les squelettes nus d’autres gorgones ayant perdu tout leur tissu vivant.
Les mortalités massives de gorgones rappellent le phénomène plus connu de blanchissement des coraux, qui entraîne la [perte de vastes portions des récifs coralliens]. Ces deux phénomènes sont liés à l’augmentation de la température de l’eau… mais la similitude s’arrête là, car les mécanismes sous-jacents sont très différents : le blanchiment des coraux est lié à la perte d’algues photosynthétiques vivant en symbiose avec les coraux, qui ne peuvent pas survivre longtemps sans cette symbiose ; tandis qu’en Méditerranée, la mortalité des gorgones est due à une infection bactérienne déclenchée par une température trop élevée.
Les vagues de chaleur marines sont des périodes relativement courtes au cours desquelles la température de la mer est extrêmement élevée. En juillet et août 2022, la température de surface de la Méditerranée occidentale a atteint des valeurs extrêmes (jusqu’à 30 °C dans la partie septentrionale) pendant 45 jours, une durée sans précédent. C’est l’effet combiné de la haute température et de la longue durée qui a provoqué l’incendie dévastateur des forêts de gorgones, avec une mortalité estimée 142 % plus importante qu’en 2003, la précédente vague de chaleur d’une telle envergure.
Les conséquences pour les écosystèmes marins
Avec la disparition des gorgones, toutes les espèces qui en dépendent sont condamnées. Les poissons perdent leurs abris, les crustacés perdent leurs cachettes, et les autres invertébrés perdent leurs refuges. La biodiversité de ces zones marines exceptionnelles s’effondre rapidement, laissant un vide où autrefois régnait une profusion de vie.
Les conséquences de cette perte de biodiversité sur l’écosystème marin sont incommensurables. Les interactions complexes entre les espèces sont perturbées, les chaînes alimentaires brisées, et la stabilité de tout l’écosystème est mise en péril. Les effets se propagent bien au-delà des limites des forêts de gorgones, affectant l’ensemble de la biodiversité marine.
Dans ce contexte, il est impératif que nous comprenions l’urgence de préserver ces écosystèmes précieux et de prendre des mesures pour atténuer les effets du changement climatique. L’avenir de nos forêts sous-marines et de la diversité marine qui les habite dépend de notre engagement collectif à préserver la santé de notre planète et de ses océans.
Lorenzo Bramanti, chercheur à l'Observatoire Océanologique de Banyuls, au Laboratoire d'écogéochimie des environnements benthiques, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.