« La collaboration internationale est la seule façon d’accélérer les progrès »
Entretien avec le professeur François Aguey-Zinsou de l'Université de Sydney.
François Aguey-Zinsou est professeur de chimie à l'université de Sydney, où il travaille sur les technologies de l'hydrogène. Alumnus de Sorbonne Université, il a obtenu son doctorat en catalyse hétérogène en 2001.
Il est également co-directeur de FACES, un réseau de recherche international dirigé par le CNRS entre la France et l’Australie.
À l'occasion de la visite d’une délégation de Sorbonne Université à l'Université de Sydney, François Aguey-Zinsou a échangé avec nous sur les forces communes de nos institutions, sur la puissance de la collaboration internationale et la manière dont ses recherches pourraient changer et préserver l'avenir de notre société.
Pourriez-vous nous parler un peu de votre expertise ?
François Aguey-Zinsou : Mes recherches sont centrées sur les technologies de l'hydrogène. Dans mon laboratoire, nous travaillons la fois sur le développement de matériaux pour stocker l'hydrogène et en produire, mais aussi pour utiliser l’hydrogène dans des piles à combustible bon marché pour les particuliers. On fait aussi beaucoup de travail sur la catalyse.
Quelles sont les principales forces communes de Sorbonne Université et de l'Université de Sydney ?
F. A-Z. : Je pense que les deux universités ont l'habitude d'essayer de faire les bonnes choses de la bonne manière et de rester à la pointe de la recherche. Lorsque j'ai fait mon doctorat en France, c'était dans l'un des meilleurs laboratoires de catalyse, et je sais que l'Université de Sydney mène également de nombreuses recherches intensives à un très haut niveau et dans différents domaines. Il y a de nombreux collègues dévoués dans nos deux institutions qui œuvrent pour le progrès.
Qu'en est-il plus largement des synergies et des différences entre nos deux pays ?
F. A-Z. : Les efforts de nos équipes en Australie et en France sont très complémentaires, malgré la distance qui sépare ces deux pays. Nous avons des liens solides, et en dépit de nos différences, nos deux pays se complètent bien.
En Australie, nous avons une certaine liberté pour tester les meilleures technologies, ce qui n'est pas forcément le cas en France. De plus, bien que nous ayons une masse critique plus faible, nous nous concentrons davantage sur le développement de technologies clés. Notre expertise vient compléter celle de Sorbonne Université, plutôt axée sur la recherche fondamentale. Alors qu’en Australie, nous sommes plutôt, je pense, sur une recherche appliquée.
Pourquoi cette collaboration entre nos deux universités est-elle importante ?
F. A-Z. : Parce que nous avons une série de défis devant nous, le changement climatique étant l'un d’eux. Comment réaliser la transition de toute notre société vers des technologies plus vertes, vers un nouveau modèle économique ? Nous ne pouvons pas le faire seuls, car nous n'avons pas des siècles pour y parvenir, mais plutôt entre vingt et quarante ans. La collaboration internationale est la seule façon d’accélérer les progrès.
L'Université de Sydney a les objectifs de développement durable de l'ONU comme principes directeurs pour ses recherches. Idem pour Sorbonne Université. Nous pouvons utiliser ces complémentarités pour trouver des solutions. C’est important, car pour avoir un vrai impact, les solutions doivent être universelles. Le changement climatique, ce n'est pas seulement les émissions de CO2 des Australiens ou des Français, c'est l'ensemble des émissions du monde.
Quel est le plus grand défi dans vos recherches actuelles ?
F. A-Z. : Comme c'est le cas pour de nombreux chercheurs : le financement. Nous avons un système différent de la France. En Australie, il faut aller chercher les financements. Nous avons beaucoup moins d'argent pour la recherche comparativement à l’Europe et la France. Alors, même si je fourmille d’idées et de projets que j'aimerais développer, cela va dépendre du niveau de financement auquel je vais avoir accès.
La transition écologique est évidemment un sacré défi ! Tout le monde veut des technologies prêtes à l'emploi, sans comprendre la nécessité de la recherche. Comme pour les téléphones portables par exemple. On s'attend à ce qu'ils sortent de nulle part, sans investissement ni recherche. Le premier téléphone mobile était très simple et très cher, et pourtant, on s'attend à ce que nous puissions contourner tout cela sans reconnaître la quantité de recherche et de développement qui doit être faite en amont.
Finalement, cela revient encore au besoin de financement, ainsi qu'à une stratégie claire de nos gouvernements respectifs sur les directions à prendre.
En quoi le travail et les études à l'international ont-ils enrichi votre parcours professionnel ?
F. A-Z. : Selon moi, il faut surtout sortir de sa zone de confort et faire contribuer d'autres personnes à sa recherche. Le problème est que lorsque vous commencez à travailler au sein d’une communauté, vous vous retrouvez souvent avec les mêmes idées qui circulent, ce qui fait que cela n'avance pas réellement. Ce n'est qu'en ayant des interactions avec d'autres communautés – même si cela est parfois difficile à faire – que les idées peuvent progresser davantage.
Par exemple, dans mon domaine actuel, nous avons été empêchés pendant un certain temps de trouver de meilleurs matériaux pour stocker l'hydrogène. Le domaine n'avance pas beaucoup, et je pense que c'est parce que nous tournons souvent autour des mêmes idées. Comment pouvons-nous penser au-delà ? Que pouvons-nous apprendre d'autres domaines qui pourraient nous aider à débloquer ce goulot d'étranglement ?
La collaboration internationale est efficace quand les gens se connaissent, quand ils travaillent ensemble depuis un certain temps. Personnellement, j'aimerais qu'un laboratoire international se monte entre plusieurs pays autour de la question énergétique.
Qu’attendez-vous de ce partenariat entre nos deux universités ?
F. A-Z. : En tant qu'ancien élève de Sorbonne Université, j'aimerais voir nos deux universités travailler efficacement ensemble malgré les différences culturelles et les manières de fonctionner. Je dis toujours que si vous réunissez deux chercheurs dans une salle et que vous leur donnez un peu d'argent, ils trouveront toujours des moyens de faire de la recherche ! Finalement, il s'agit surtout d'établir un bon réseau et de voir comment nous pouvons travailler ensemble. Cela conduirait à de grandes opportunités, non seulement pour la construction de laboratoires internationaux, mais aussi pour le développement de nouveaux concepts.