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Journée internationale des nuages : du laboratoire à l’imaginaire

À l’occasion de la Journée internationale des nuages, le 29 mars, nous avons réuni Sandrine Bony, directrice de recherche CNRS et chercheuse en physique de l’atmosphère au Laboratoire de météorologie dynamique (Sorbonne Université/CNRS/ENS-PSL/Institut polytechnique de Paris) et Mathieu Simonet, écrivain et ancien avocat, pour échanger sur la complexité et la poésie des nuages. 

Les nuages sont à la fois des objets scientifiques complexes et des éléments inspirants. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans leur observation ?

Sandrine Bony : Ce qui me fascine le plus, c’est leur caractère dynamique et vivant. Ce ne sont pas juste des objets posés dans le ciel, ils naissent, se développent, interagissent, meurent, se renouvellent et s'organisent de différentes façons. Cette dimension évolutive est essentielle pour un scientifique, car elle nous donne des informations sur les mécanismes physiques et les processus qui les gouvernent. 

Sandrine Bony © Pierre Kitmacher

Mathieu Simonet : De mon côté, ce qui me fascine, c’est leur pouvoir contemplatif. Regarder un nuage, c’est renouer avec un geste universel, un rituel d’enfance que nous avons tous pratiqué. C'est l’une des rares activités que l’on fait enfant comme adulte. Il y a quelque chose d’émouvant à penser que toutes les cultures et toutes les générations ont levé les yeux vers le ciel pour observer les nuages. Je dis souvent que « L’art, c’est réaliser des rêves d’enfants avec des gestes d’adultes ». La Journée internationale des nuages est une parfaite illustration de cette idée.

Mathieu Simonet © Philippe Matsas

Les nuages jouent un rôle clé dans la régulation du climat, mais ils restent l’un des plus grands défis de la recherche climatique. Sandrine, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ils sont si difficiles à modéliser ? 

S.B. : La principale difficulté vient du fait qu’ils se forment à une échelle bien plus petite que celle qui est résolue dans les modèles climatiques globaux. Pour représenter l’évolution du climat, nous discrétisons l’atmosphère en grille avec des mailles de plusieurs dizaines de kilomètres. Or, les nuages émergent à une échelle bien inférieure, allant de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres. 
Dans un modèle de climat, on représente les nuages de façon implicite, c'est-à-dire qu'on essaie de représenter l'effet collectif des nuages sur ce qui se passe dans l'atmosphère à grande échelle. Les nuages posent un défi majeur aux modélisateurs du climat, car de nombreux phénomènes complexes s’y déroulent et les nuages interagissent fortement avec le climat.
 À la surface comme dans l’atmosphère, ils influencent la circulation des vents et l’équilibre énergétique de l’ensemble du système climatique. Chaque nuage est une pièce d’un puzzle météorologique et climatique, ce qui en fait un sujet d’étude particulièrement captivant.

Mathieu, pensez-vous que cette incertitude scientifique puisse enrichir notre compréhension du monde ?
M.S. :
Cette incertitude me semble particulièrement intéressante d’un point de vue philosophique. Elle illustre le fait que la science n’est pas une accumulation de vérités absolues, mais une quête permanente de compréhension. Cet enjeu d'incertitude permet de promouvoir l'éloge du doute. Un océanographe m’a un jour expliqué que le rôle du scientifique n’est pas de dire ce qui est vrai ou faux, mais de réduire la marge d’incertitude. 
Je trouve cette idée fascinante, car elle rejoint une réflexion plus large sur notre rapport à l’inconnu. L’incertitude est souvent perçue comme une faiblesse, alors qu’elle est en réalité un moteur de connaissance. C’est en acceptant de ne pas tout savoir que nous ouvrons de nouvelles perspectives, que ce soit en science, en art ou dans notre quotidien. 

Cette journée des nuages vise à croiser les regards entre sciences et arts. Comment pensez-vous que ces deux disciplines peuvent s’enrichir mutuellement lorsqu’il s’agit d’observer et de comprendre les nuages ?

S.B. : L'émerveillement, par exemple, est un élément important, autant pour les sciences que pour les arts. De manière générale, nous cherchons à comprendre des phénomènes qui nous intriguent, qui nous interpellent par leur beauté ou leur complexité. Que ce soit dans les arts ou les sciences, la créativité et la curiosité jouent un rôle essentiel dans cette démarche. 
Il n’y a pas deux chercheurs qui abordent un sujet exactement de la même manière, car chacun apporte sa propre sensibilité, ses propres intuitions. De la même façon, en art, c’est la diversité des regards qui rend les œuvres uniques. C’est cette pluralité d’approches qui enrichit notre compréhension du monde.

M.S. :  Je suis tout à fait d’accord avec Sandrine. J’ai d’ailleurs vécu cette complémentarité entre le droit et l’écriture. J’ai longtemps pensé que ces deux domaines étaient totalement distincts, mais en écrivant un roman sur une affaire criminelle que j’avais défendue en tant qu’avocat, j’ai découvert que l’approche artistique pouvait révéler des éléments que l’analyse juridique n’avait pas permis d’identifier. En tant qu’écrivain, j’ai découvert des aspects qui m’avaient échappé dans mon rôle d’avocat, car je n’explorais pas le monde avec les mêmes outils ni la même perspective. Et comme le disait Sandrine, je pense qu'un des enjeux très importants, c'est la capacité d'émerveillement, le moteur d'enthousiasme.

La manipulation des nuages soulève d'importantes questions éthiques et environnementales. Sandrine, quels sont les défis scientifiques du contrôle des nuages ?

S.B. : La question de la modification des nuages est délicate. De nombreuses expériences ont été menées pour essayer de faire pleuvoir par exemple, mais les résultats restent très incertains et l’efficacité de ces techniques n’est pas clairement démontrée. 
D’autre part, certaines propositions qui visent à modifier les nuages pour atténuer le changement climatique posent de graves questions éthiques. Une intervention sur les nuages pourrait avoir des répercussions imprévues sur d’autres régions du globe et créer une dépendance technologique dangereuse et intergénérationnelle. Si nous modifions artificiellement le climat, en l’absence d’une gouvernance internationale extrêmement forte, stable et multilatérale, nous risquons d’exposer la planète à un réchauffement très brutal en cas d’arrêt du refroidissement artificiel. Il s’agirait donc d’une solution très risquée.

Mathieu, vous souhaiteriez que les nuages soient classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Comment protéger ce bien universel tout en tenant compte des enjeux liés à leur manipulation ?

M.S. : Le problème, c’est qu’aujourd’hui, il n’existe pas de cadre juridique sur ces pratiques. C’est un véritable Far West réglementaire. D’où ma proposition de classer les nuages au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce n’est pas tant une solution pratique qu’un moyen de sensibiliser à ces enjeux. 
Si nous reconnaissons les nuages comme un bien commun de l’humanité, nous pourrions engager une réflexion collective sur la manière de les protéger et d’encadrer — ou d’interdire — leur modification. Cela ne signifierait pas nécessairement une interdiction totale de l’ensemencement des nuages, mais au moins une prise de conscience des implications à long terme de cette technique.

Que souhaitez-vous que les visiteurs retiennent de cette journée ?

S.B. : J’aimerais qu’elle incite les gens à observer davantage le ciel. Les nuages sont accessibles à tous et pourtant, nous les regardons rarement avec attention. Peut-être que certains jeunes scientifiques découvriront un intérêt pour la météorologie ou la physique et que ça éveillera leur curiosité et des vocations. Ç'a notamment été mon cas !

M.S. : Selon moi, trois points sont essentiels. D’abord, retrouver le plaisir de la contemplation, ce simple geste de lever les yeux et de prendre le temps d’observer les nuages. Le deuxième point, c’est l’approche pluridisciplinaire. Chaque discipline a ses méthodes, son vocabulaire, et il y a un vrai défi de traduction entre elles. C’est d’ailleurs ce que promeut Sorbonne Université. 
Le troisième point, et là, c’est mon côté ancien avocat qui parle, c’est l’action. J’ai vraiment envie que les visiteurs s’emparent de ce sujet. J’invite chacun à pratiquer ce que j’appelle le « droit impressionniste ». En attendant que l’ONU légifère, on peut montrer l’exemple à l’échelle locale, même si cela peut paraître absurde puisque le droit des nuages implique une vision internationale. Réfléchir juridiquement à l’ensemencement des nuages à l’échelle d’une ville ou d’un département n’aura peut-être pas un impact scientifique immédiat, mais permettra d’anticiper les futures règles possibles. 
Le droit semble inaccessible, car on pense qu’il faut des années d’études pour avoir un avis juridique. Or, l’avantage du droit des nuages, c’est qu’il est encore à inventer ! 

Propos recueillis par Pauline Ponchaux


Bibliographie : La Fin des nuages, Mathieu Simonet (Julliard, 2023).
Crédit photo Mathieu Simonet : Philippe Matsas 

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