
"Jedi, Teia et moi" – Le quotidien d’un doctorant malvoyant avec ses chiens-guides
À l’occasion de la Journée internationale des chiens-guides, Matéo Malidin, doctorant en informatique à Sorbonne Université, nous raconte son parcours, son quotidien avec ses deux compagnons à quatre pattes – Jedi, aujourd’hui à la retraite, et Teia, sa nouvelle partenaire – et ce que ces chiens ont changé dans sa vie d’étudiant et de jeune chercheur malvoyant.
Entretien
Quel est votre parcours de formation et sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?
Matéo Malidin : D’abord intéressé par la biologie, j’ai choisi l’informatique parce que cela m’apparaissait accessible malgré ma malvoyance causée par une atrophie du nerf optique pendant mon enfance. Après une licence à Tours, j’ai intégré un master en sciences des données et intelligence artificielle à Sorbonne Université. C’est un stage qui m’a convaincu de m’orienter vers la recherche. Actuellement, en thèse à l’ISIR, je modélise la prise de décision et l’apprentissage dans les interactions homme-machine, notamment la transition entre les méthodes accessibles à tous (comme les menus graphiques) et les méthodes plus complexes (comme les raccourcis clavier), pour créer des interfaces plus intuitives et accessibles.
À quel moment un chien-guide est-il entré dans votre vie ?
M. M. : Mon premier chien-guide, Jedi, un golden retriever sable, est arrivé en 2017, pendant mon année de terminale. J’ai bénéficié de la Fondation Frédéric Gaillanne, la seule école en Europe à remettre des chiens-guides à des mineurs. On a fait la dernière année de lycée et les études supérieures ensemble, pendant un peu plus de sept ans. Depuis un mois, j’ai Teia, une Labernois – croisement entre labrador et bouvier bernois – qui a pris le relais.

Matéo et Teia à l'entrée du campus Pierre et Marie Curie ©Sorbonne Université
Pourquoi avoir choisi de prendre un chien-guide ?
M. M. : Ce qui m’a énormément motivé, c’est la relation extraordinaire qu’on construit avec un chien-guide. Bien sûr, la facilité de mobilité par rapport à une canne blanche est essentielle, mais ce n’était pas le facteur déterminant pour moi. Et puis, étudier loin de chez soi, dans une autre ville par exemple, devient beaucoup plus rassurant quand on est accompagné d’un chien-guide. On se sent beaucoup plus confiant. C’est un véritable compagnon de vie. Cela me permet d’envisager de nouveaux trajets, de nouvelles sorties avec beaucoup moins d’appréhension. Sa présence change tout.
Quel parcours suivent les chiens guides durant leur formation ?
M. M. : Généralement, les chiens passent d’abord un an environ en famille d’accueil, où ils acquièrent les bases de l’obéissance. Ensuite, ils suivent une formation spécifique de 8 à 12 mois dans l’école, durant laquelle ils apprennent à contourner les obstacles, à s’arrêter devant des marches ou des passages, et à sécuriser leur maître face aux véhicules et autres dangers. Ensuite, l’école choisit à quel bénéficiaire le chien peut être confié. Le binôme est très important : le caractère, l’environnement, la maturité du futur maître… Tout est pris en compte.
Comment s’est passée votre première remise avec Jedi ?
M. M. : C’était en juillet 2017, après un an de préparation. Il y avait eu un premier stage de découverte en 2015, un week-end durant lequel l’école observe notre comportement avec les chiens, nos premières interactions, et évalue notre maturité pour gérer cette responsabilité. Puis une "pré-classe" d’une semaine au printemps 2016 a permis de vraiment commencer à travailler avec les chiens, et déterminent les premiers binômes possibles. La remise elle-même a duré trois semaines, avec d’autres jeunes bénéficiaires, dans les locaux de la Fondation Frédéric Gaillanne. Et dès le début, il y a eu une vraie connexion. Ça a tout de suite bien fonctionné entre nous.
Et aujourd’hui avec Téia ?
M. M. : Elle est magnifique et très intelligente. Elle a un succès fou sur le campus ! Comme Jedi, elle m’accompagne partout : au labo, au CROUS, à la bibliothèque. Le matin, je la détends un peu avant de partir, et je fais de même à midi et le soir. Elle est en liberté dans mon bureau où elle s’allonge pendant que je travaille et me suit dans tous mes déplacements… C’est très fluide.
En images
Y a-t-il des contraintes à avoir un chien-guide ?
M. M. : Comme pour tout chien, il faut le sortir, lui faire faire ses besoins, le stimuler, lui consacrer du temps. Ce n’est pas une contrainte énorme, c’est même bénéfique : ça m’oblige à marcher, à sortir, même quand je n’en ai pas forcément envie. L’école organise des balades hebdomadaires au bois de Vincennes pour que les chiens puissent se détendre en liberté. En fait, les bénéfices dépassent largement les petites obligations quotidiennes.
Quels sont les avantages concrets du chien-guide en termes de mobilité ?
M. M. : Un exemple simple : un trou au milieu du trottoir. Avec une canne, on peut tomber dedans – elle ne détecte qu’à un pas devant. Le chien, lui, contourne l’obstacle. Et puis, c’est beaucoup moins fatigant. On se repose sur le chien pour éviter les imprévus ou les obstacles complexes. Ce qu’il reste à faire, c’est se repérer, savoir où on est et où on va. Le chien peut apprendre des trajets réguliers, mais il faut quand même s’orienter dans l’espace et décider quand traverser aux passages piétons.
Et puis, contrairement à la canne qui intimide parfois les gens, un chien-guide suscite tout de suite plus d’intérêt et facilite le contact. Teia attire beaucoup l’attention. Souvent, en marchant dans la rue, les passants viennent spontanément me parler.
Avez-vous déjà eu des difficultés à entrer dans des lieux publics avec votre chien ?
M. M. : Très rarement. Il y a parfois de l’ignorance, des gens qui pensent que les chiens-guides ne sont pas autorisés dans certains lieux, comme les cinémas ou les trains. Mais en général, il suffit de rappeler la loi et que les chiens-guides ont le droit d’accéder à tous les lieux publics et il n’y a pas de problème.
Quelle est votre relation avec Jedi aujourd’hui ?
M. M. : Jedi est à la retraite chez mes parents. Il a 11 ans. Je rentre presque tous les week-ends pour le voir. Il s’entend très bien avec Teia. Quand ils se retrouvent, c’est un vrai bonheur.
Quels messages aimeriez-vous faire passer à l’occasion de la journée des chiens-guides ?
M. M. : Une idée reçue que j'aimerais déconstruire, c’est celle qui prétend que les chiens-guides sont là uniquement pour travailler, sans vraie relation, ou pire encore, qu’ils sont malheureux parce qu'ils travaillent. C’est complètement faux. Ils adorent leur mission, il suffit de les voir en action : ils remuent constamment la queue, ils sont vraiment dans leur élément. Passer 24 heures sur 24 ensemble crée un lien très fort, surtout parce qu’on dépend l’un de l’autre. On leur confie notre sécurité, et eux nous font confiance pour leurs besoins quotidiens. Cette complicité se développe très vite.
Pour les personnes déficientes visuelles qui hésitent à faire une demande de chien-guide, je voudrais leur dire de foncer. Ce que ça apporte est immense.
Et bien sûr, si vous voulez aider, sachez qu’il y a un grand besoin de familles d’accueil. C’est un engagement, oui, mais c’est aussi une belle aventure. Et il y a aussi possibilité de faire un don car former un chien-guide coûte au total environ 25 000 euros.

Matéo et Teia marchant sur le campus ©Sorbonne Université