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Immersion dans la collection de zoologie

Constituée au début du XIXe siècle, la collection de zoologie de Sorbonne Université a traversé le temps, les mutations pédagogiques, et les déménagements pour devenir aujourd’hui un véritable trésor scientifique et historique. Santiago Aragon, responsable de cette collection, œuvre pour préserver et valoriser ce patrimoine exceptionnel dont il nous ouvre les portes.

Un outil pédagogique et scientifique unique

Au détour d’un couloir du campus Pierre et Marie Curie, se trouve un cabinet de curiosité d’une esthétique rare où mammifères naturalisés, mollusques, oiseaux, coraux, éponges et autres invertébrés attendent les visiteurs. La collection zoologique de la faculté des Sciences et Ingénierie, héritée de l’ancienne université, rassemble des spécimens accumulés depuis le début du XIXe siècle.

« Cette collection a été employée pendant des années pour la formation des étudiants de biologie et a grandi au fil du temps avant de perdre beaucoup de visibilité au milieu du XXe siècle », explique Santiago Aragon. Son regard brille encore lorsqu’il évoque sa première rencontre avec les spécimens de la collection il y a presque vingt ans, une rencontre qui allait marquer un tournant décisif dans sa carrière. « Quand j’ai découvert la collection, ça a été un coup de foudre. C’était un musée de zoologie avec beaucoup d’animaux, un endroit éblouissant, ouvert aux étudiants avant les années 80, mais qui avait été fermé et gardé sous clé pendant des décennies. »

 

Vitrine dédiée aux insectes

Les vitrines de la salle musée, comme celle-ci dédiée aux insectes, permettent de montrer aux visiteurs une petite partie de la collection. ©Sorbonne Université

Dès 2005, Santiago Aragon, alors maître de conférences, spécialisé en endocrinologie des crustacés, se consacre à redonner vie à cette collection, en menant des recherches approfondies sur son histoire et en développant des projets pour l'intégrer davantage dans le cadre pédagogique et muséographique de l'université. Il en devient le responsable. « En tant que naturaliste, j'ai toujours aimé les animaux, et plus largement les choses que je peux appréhender par les sens, poursuit-il. J’ai également un penchant pour l'histoire des sciences, et je suis passionné par le patrimoine. Cela a été une confluence de circonstances qui m'ont motivé à m'occuper de cette collection. Depuis, je me dédie à cette tâche, à côté de mes heures d'enseignement en écologie, biologie animale et histoire des sciences. J'ai également une activité de recherche en histoire des sciences et muséologie. Avec le temps, j'ai réussi à faire de cette collection un terrain d'étude pour ma recherche, mon habilitation à diriger des recherches étant basée sur son histoire et son avenir. »

 

Santiago Aragon présentant un specimen de la collection

Dans la nouvelle salle de collections, les meubles à tiroirs de l'ancienne salle servent au stockage des spécimens de petite taille, comme ces cornes d'antilope.

Témoin des évolutions pédagogiques et scientifiques, la collection servait initialement à l’enseignement de l’anatomie et de la morphologie. Mais avec l’émergence de la biologie moléculaire au milieu du XXe siècle, l’intérêt pour ces disciplines a décliné, et la collection a progressivement été mise de côté. « Bien que très bien préservée par le taxidermiste, Gil Hortault, qui s’en occupait, la collection est restée sous-exploitée jusqu’à ce que des travaux de rénovation soient programmés sur le site de Jussieu. » Alors menacée d’être transférée au Muséum national d’histoire naturelle, la collection fut finalement conservée par l’UFR des sciences de la vie à la condition de la redynamiser et de la revaloriser. Ce fut une opportunité inespérée de redonner vie à ce patrimoine.

 

Détail de la collection d'étoiles de mer dans la salle de réserve.

Détail de la collection d'étoiles de mer dans la salle de réserve.

La renaissance d’un patrimoine oublié

Fenêtre ouverte sur les pratiques scientifiques et pédagogiques du passé, la collection comprend des animaux naturalisés, des squelettes, des pièces ostéologiques, ainsi que des spécimens conservés dans des fluides comme l’alcool ou le formol.

Ces spécimens ont été mis en valeur grâce au projet muséographique et pédagogique conçu par Santiago Aragon, en partenariat avec Christian Durix et Dylan Courtin, pour réorganiser et redynamiser la collection lors de son déménagement. « En plus de la salle de réserve équipée de rayonnages mobiles, financée en partie par Sorbonne Université, nous avons imaginé une salle-musée comme espace d'enseignement et vitrine de la richesse de la collection. Celle-ci a été réalisée grâce à des financements obtenus notamment par le biais d'une action de crowdfunding et à un mécénat du Crédit Agricole Île-de-France », précise le responsable. Une partie du mobilier ancien, comme les meubles à tiroirs, a été conservée pour maintenir une continuité historique avec la précédente salle de collection.

En plus de l'installation muséographique, le responsable de la collection a également entrepris des actions de restauration des spécimens, notamment grâce à des collaborations avec le Muséum national d'histoire naturelle et l'Institut national du patrimoine. « Nous avons perdu beaucoup de pièces au cours du XXe siècle, surtout des modèles en papier mâché autrefois utilisés pour l’enseignement », déplore-t-il. L’objectif n’est pas d’agrandir la collection, mais plutôt de la conserver, de la restaurer et de la valoriser. « Nous avons par exemple refait les niveaux des bocaux contenant des spécimens en fluides, et restauré des taxidermies emblématiques comme le phoque ou le siamang , grâce au financement de projets de recherche. Nous collaborons pour cela avec l'Institut national du patrimoine pour restaurer des objets pédagogiques dans le cadre de leurs enseignements », indique-t-il.

 

Santiago Aragon présente un modèle d'embryon humain, fabriqué en cire et datant de la fin du XIXe, qui bientôt sera restauré à l'Institut National du Patrimoine.

Santiago Aragon présente un modèle d'embryon humain, fabriqué en cire et datant de la fin du XIXe, qui bientôt sera restauré à l'Institut National du Patrimoine.

L’une des fiertés du responsable est d’avoir redonné à la collection sa vocation pédagogique. Il organise régulièrement des séances thématiques, animées par l’équipe pédagogique de biologie animale, durant lesquelles les étudiants peuvent manipuler des objets de la collection, qu’il s’agisse de squelettes de vertébrés, d’oiseaux empaillés ou de modèles pédagogiques. « Cela enrichit énormément leurs apprentissages, explique-t-il. Nous accueillons également des étudiants en médiation, ainsi que des étudiants de la mineure histoire des sciences et de la mineure patrimoine. »

 

Découverte de la salle-musée par le grand public

La collection est visitée par les étudiants tout au long de l'année et ouverte au grand public lors d'événements comme la Fête de la Science et les Journées du Patrimoine. ©Sorbonne Université

Une collection tournée vers l’avenir

Mais le travail ne s’arrête pas là. Santiago Aragon a encore de nombreux projets pour la collection. Il souhaite notamment développer des visites guidées pour le grand public, encadrées par des étudiants médiateurs, ainsi qu’un projet de recherche basé sur l’étude des relations entre l’homme et l’animal. « Je veux faire de cette collection un point de départ pour une réflexion plus large sur notre rapport aux animaux. J'aimerais que l'étude de la biologie animale ne se limite pas à une approche analytique, mais qu'elle inclue également une dimension empathique envers les animaux, en les considérant comme des êtres vivants à part entière », confie-t-il.

 

Santiago Aragon dans la réserve de la collection

La salle de réserve, à température et humidité stables, est équipée de rayonnages mobiles qui permettent un accès facile aux spécimens entreposés. ©Sorbonne Université

Grâce à l’engagement de Santiago Aragon, la collection commence à être connue au-delà des murs de Sorbonne Université. Des spécimens ont été prêtés à des musées comme le musée d'histoire naturelle de Marseille. D’autres servent de modèles pour un cours de dessin scientifique ouvert aux étudiants de l’université. « Nous participons également à des projets de numérisation 3D et de visites virtuelles pour faire découvrir la collection à un public plus large. Mon objectif est de redonner vie à cette collection, de la faire connaître et de la pérenniser pour les générations futures », conclut le responsable avec enthousiasme.

Par Justine Mathieu