Images de science : « Watersipora subatra », voyageuse au long cours
Originaire du Japon, Watersipora subatra envahit progressivement les océans et mers du globe. L’introduction d’une espèce dans un nouvel écosystème peut engendrer des déséquilibres écologiques parfois irrémédiables. En milieu marin, leurs conséquences peuvent être graves du fait de la difficulté d’intervention.
Il existe quelques exemples spectaculaires, tels l’algue verte tropicale Caulerpa taxifolia en Méditerranée ou encore le crabe royal du Kamchatka. Ces crabes, originaires de la mer de Béring entre l’est de la Russie et l’Alaska, ont été introduits en mer de Barents pour y développer une pêcherie et soutenir l’emploi local. Trouvant des écosystèmes favorables, cette espèce a rapidement étendu son aire de distribution vers l’ouest et colonisé les côtes de Norvège, actuellement jusqu’aux îles Lofoten. Elle représente une menace pour les écosystèmes qu’elle colonise dont elle perturbe profondément le fonctionnement, notamment en ingérant les œufs de poissons, notamment ceux du tacaud et de la morue.
Fort heureusement, dans la majorité des cas, les espèces introduites sont plus discrètes, ce qui n’exclut pas de les surveiller afin de déceler toute perturbation du fonctionnement au sein des écosystèmes ou la disparition d’autres espèces.
Le bryozoaire Watersipora subatra illustre l’exemple d’une introduction discrète mais d’une capacité de colonisation de nouveaux milieux très efficace – originaire du Japon, elle s’est largement implantée sur tout le littoral breton en seulement une décennie.
Si son arrivée en Europe peut être due à la présence de colonies dans du naissain (juvéniles) d’huître japonaise, son expansion pourrait aussi se faire via la fixation de ses larves ou de ses colonies sur les coques de navires (phénomène communément appelé « fouling »), ou encore par des algues dérivantes sur lesquelles les colonies pourraient se développer.
Des « animaux mousses » variés à travers le monde
Les bryozoaires, littéralement « animaux mousses », sont des animaux coloniaux, fixés pour la plupart sur un substrat, inerte ou vivant, et majoritairement marins. Chaque individu, appelé zoïde ou zoécie, vit dans une loge millimétrique au sein d’une colonie, le zoarium, qui peut être encroûtante, dressée ou arbustive et mesurer de quelques centimètres à plusieurs dizaines de centimètres. La nutrition et la respiration des bryozoaires sont assurées par un courant d’eau créé par une couronne de tentacules appelée « lophophore ». Les loges étant le plus souvent carbonatées, plusieurs espèces contribuent ainsi dans les mers chaudes à la construction des récifs coralliens. La forme, la taille et l’agencement des loges permettent de reconnaître les différentes espèces.
Par leurs larves ou leurs colonies présentes dans le « fouling », quelques espèces sont facilement transportées de port en port et colonisent actuellement le littoral européen.
Tel est le cas de Watersipora subatra, originaire du Japon, qui est actuellement recensée comme une espèce introduite dans l’Atlantique Nord-Est, dans l’Indopacifique (Indonésie), le Pacifique sud-ouest (Australie, Nouvelle-Zélande) et le Pacifique nord-est (Californie). La taxonomie de ce genre, qui compte 13 espèces quelquefois très proches morphologiquement, a induit de nombreuses hésitations avant que l’identification définitive des Watersipora présents sur les côtes européennes ne soit fixée.
Le long des côtes atlantiques européennes, cette espèce a été initialement identifiée comme Watersipora aterrima dans le bassin d’Arcachon entre 1968 et 1973, puis comme Watersipora subovoidea en Bretagne en 2005, revue comme Watersipora subtorquata en 2009. Il est désormais avéré que l’espèce présente en Bretagne, autour des îles Britanniques et en mer du Nord est en fait Watersipora subatra et que quatre autres espèces sont présentes sur le reste des côtes européennes.
Nicolas Desroy, Chercheur en faune benthique, Ifremer; Eric Thiébaut, professeur en océanographie biologique, Sorbonne Université; Jérôme FOURNIER, chercheur au CNRS, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Laurent Godet, Chercheur au CNRS, Université de Nantes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.