![](/sites/default/files/styles/large/public/media/2025-02/grippenet-covidnet_novembre_2024.png?itok=UtbbO2gi)
Grippenet/Covidnet, un outil participatif au service de la veille épidémiologique
Depuis plus de dix ans, la plateforme Grippenet/Covidnet permet de surveiller la circulation des infections respiratoires grâce à un réseau de citoyens volontaires. Initié en France en 2012 dans le cadre de l’initiative européenne InfluenzaNet, ce programme coordonné par l'Institut Pierre Louis d'Epidémiologie et de Santé Publique (Iplesp), s’est imposé comme un complément précieux aux systèmes de surveillance traditionnels. Retour sur son fonctionnement, ses avancées et ses défis à venir.
Une approche complémentaire aux systèmes traditionnels de surveillance
« Les systèmes de surveillance classiques, comme le réseau Sentinelles, qui reposent principalement sur les consultations médicales et les passages aux urgences, ne prennent pas en compte les personnes malades ne consultant pas de médecin », explique Thierry Blanchon, épidémiologiste à l’IPLESP et co-responsable scientifique du projet Grippenet/Covidnet. Par ailleurs, « dans le cas des maladies infectieuses, et en particulier des infections respiratoires, il existe un décalage temporel entre l’exposition au virus, l’apparition des premiers symptômes et le recours aux soins médicaux. Donc plus on est capable de détecter un signal en amont, plus on peut alerter rapidement et anticiper une épidémie. »
C’est précisément l’objectif du projet Grippenet/Covidnet : suivre l’évolution des infections dès l’apparition des premiers symptômes afin d’affiner les modèles épidémiologiques et d’améliorer la réactivité des politiques de santé publique.
Un projet né d’une ambition européenne
Le projet Grippenet a vu le jour en 2012, sous l’impulsion de Vittoria Colizza, chercheuse à l’IPLESP, qui avait déjà contribué à une initiative similaire en Italie dans le cadre du projet européen InfluenzaNet. « En intégrant ce programme, la France a rejoint un réseau collaboratif destiné à améliorer la détection précoce des épidémies. Depuis, nous avons développé le versant français du projet avec Grippenet, un outil de surveillance capable de capter les premiers signaux d’une épidémie bien avant l’afflux dans les cabinets médicaux ou les hôpitaux. », explique Thierry Blanchon.
Avec la pandémie de Covid-19, le projet lancé sous le nom Grippenet s’est rapidement adapté pour inclure un suivi spécifique du SARS-CoV-2, devenant ainsi Grippenet/ Covidnet. Aujourd’hui, il englobe toutes les infections respiratoires, dont le virus respiratoire syncytial (VRS).
Un fonctionnement simple et accessible à tous
Le projet, porté au sein de l'IPLESP (Sorbonne Université, Inserm), par une équipe composée d’épidémiologistes, d’une chargée de communication, d’informaticiens et de biostatisticiens, repose sur une participation volontaire des citoyens. Chaque semaine, les participants, surnommés les Grippenautes, remplissent un questionnaire en ligne où ils déclarent la présence ou l’absence de symptômes. Si des signes d’infection sont signalés, un questionnaire complémentaire affine les données en précisant la nature et l’évolution des symptômes.
« Nous avons conçu un système entièrement en ligne, anonyme et sécurisé, précise Thierry Blanchon. La seule information que nous recueillons est l’adresse e-mail, afin de pouvoir communiquer avec le participant, ainsi que sa commune de résidence, pour localiser les signaux épidémiologiques. »
Totalement volontaires et bénévoles, chaque Grippenaute participe à son rythme, selon sa disponibilité et son envie. « L’idéal est de répondre une fois par semaine, mais certains préfèrent se connecter tous les jours, d’autres moins souvent. », souligne Thierry Blanchon.
Des résultats tangibles
Depuis 2012, la plateforme Grippenet/Covidnet a prouvé son efficacité en détectant les épidémies une à deux semaines plus tôt que les systèmes classiques comme le réseau Sentinelles et les urgences hospitalières.
Mais Grippenet/Covidnet ne se limite pas à suivre la dynamique des infections respiratoires. Il permet également d’étudier les comportements médicaux et préventifs des citoyens. « Nous pouvons analyser la rapidité avec laquelle les participants consultent un médecin, ont recours aux urgences en fonction de la gravité des symptômes, leur rapport à la vaccination et aux mesures barrières, etc. », détaille Thierry Blanchon.
En ce sens, la plateforme joue un rôle fondamental pour comprendre les réactions de la population face aux maladies et aux recommandations de santé publique.
Un outil adaptable au suivi d’autres maladies/pathologies
Bien que Grippenet/Covidnet soit avant tout conçu pour la surveillance des infections respiratoires hivernales, il s’est révélé utile pour d’autres enquêtes de santé publique, notamment le suivi des infestations de punaises de lit et leurs conséquences sanitaires, l’étude des piqûres de tiques ou encore l’investigation d’intoxications alimentaires en partenariat avec Santé publique France.
Grâce à la mobilisation rapide des participants, le projet offre un vivier de données précieuses pour la recherche en épidémiologie. Chaque année, une à trois enquêtes supplémentaires sont proposées aux Grippenautes sur des thématiques variées.
Une participation citoyenne essentielle
Si les données de Grippenet/Covidnet ont été largement exploitées pour modéliser l’évolution de certaines infections, des avancées sont nécessaires pour affiner ces modèles et améliorer la capacité de prévision des futures vagues épidémiques. Parmi elles, l’augmentation du nombre de participants.
Actuellement, environ 5 000 Grippenautes participent activement. Ce nombre peut atteindre 12 000 en période de crise sanitaire, comme lors de la pandémie de Covid-19. Toutefois, pour une surveillance plus fine, au moins 100 000 participants seraient nécessaires. « Si nous voulons transformer la plateforme Grippenet/Covidnet en un véritable outil de veille sanitaire national, il est indispensable de mobiliser plus de citoyens », insiste Thierry Blanchon.
Vers une approche intégrée de la surveillance épidémiologique
L’autre grand défi du projet Grippenet/Covidnet est d’aller vers une approche intégrée de l’ensemble des outils de surveillance. Sorbonne Université porte actuellement le projet SISP&EaU, auquel participent environ 13 unités de recherche, dont celles impliquées dans le réseau Obépine qui surveille la présence virale dans les eaux usées pour anticiper l’évolution des vagues épidémiques.
Le projet SISP&EaU, dont fait aussi partie Grippenet/Covidnet, vise à optimiser la détection précoce des épidémies en croisant différentes sources de données. « L’objectif est de dépasser l’approche en silos, où chaque système fonctionne de manière isolée, pour intégrer les signaux issus de plusieurs sources et améliorer la capacité d’alerte », précise Thierry Blanchon.
Dans deux départements pilotes - le Bas-Rhin et les Alpes-Maritimes -, les chercheurs vont croiser plusieurs dispositifs de surveillance, notamment la plateforme Grippenet/Covidnet, le réseau Obépine, le réseau Sentinelles, qui suit les consultations en médecine générale, et les pharmacies, qui peuvent fournir des données précieuses. « L’idée n’est plus seulement de regarder si tous les systèmes vont dans la même direction, mais d’analyser conjointement les données pour en extraire une vision plus précise et plus précoce des dynamiques épidémiques », souligne Thierry Blanchon.
Ce projet marque une avancée importante vers une surveillance sanitaire plus efficace, qui pourrait permettre d’anticiper plus tôt les vagues épidémiques et d’adapter les mesures de santé publique en conséquence.