« Grâce au Nobel, le travail de Louise Glück a une chance de toucher enfin le lectorat qu’il mérite »
Romain Benini, maître de conférences à l’UFR de Langue française de Sorbonne Université et spécialiste de la poésie du XIXe siècle, revient sur sa « rencontre » avec l’œuvre de Louise Glück, poétesse américaine qui vient d’être récompensée du prix Nobel de littérature.
Il nous dévoile comment la poétesse l’a bouleversé et pour quelles raisons il a voulu traduire son dernier recueil Faithful and Virtuous Night.
Comment avez-vous découvert le travail de Louise Glück ?
Romain Benini : J’ai découvert son travail il y a un an en lisant la New York Review of Books où il y a toujours quelques poèmes. Généralement je passe assez rapidement sur la poésie mais ce jour-là, j’ai été saisi par un poème de Louise Glück. J’ai été surpris d’être aussi immédiatement retenu, car la NYRB est une revue de critique de livres de tous types (politique, histoire, science, etc.) ; l’esprit n’est donc pas préparé à découvrir un texte non argumentatif.
Après avoir lu le texte en question plusieurs fois, je me suis mis à le traduire, pour essayer de pénétrer cette singularité qui me semblait si puissante. Je me suis ensuite procuré tous les livres de Louise Glück que j’ai trouvés. J’ai continué de traduire et ai fait lire quelques textes à Guillaume Métayer et Laurent Fourcaut, qui sont au comité de rédaction de la revue Place de la Sorbonne. Tous deux m’ont encouragé à continuer mon travail de traduction.
Ce qui n’était jusqu’alors qu’une entreprise destinée à comprendre mieux les mécanismes textuels de cette poésie est devenu un véritable projet de transmission de l’œuvre de Louise Glück en langue française.
Pourquoi avez-vous souhaité traduire l’un de ses recueils de poésie ?
R.B : Ma motivation était double, comme on l’aura compris : tout d’abord, il s’agissait de m’incorporer, en quelque sorte, l’écriture de Louise Glück. Je me disais qu’en traduisant je serais obligé de m’arrêter sur chaque détail, chaque difficulté, de comprendre à la fois la structure globale des textes et leur fonctionnement interne.
Ce n’est qu’ensuite que j’ai pris conscience de l’importance de partager ces poèmes. Il est, je crois, assez rare d’être aussi marqué par des textes, surtout quand ils ne nous ont pas été présentés de manière traditionnelle, en se fiant notamment à l’autorité d’une maison d’édition, d’un discours savant, etc. Je trouvais cette écriture tellement fascinante que j’ai espéré transmettre sa force à d’autres lecteurs. C’est une des raisons pour lesquelles, en traduisant, je me suis efforcé d’être aussi précis et fidèle que possible, pour tâcher de reproduire au mieux chez d’autres la sensation que je continue moi-même d’éprouver chaque fois que je lis Louise Glück.
Louise Glück a été très peu traduite en France. On ne trouvait d’elle, au moment du Nobel, que quelques poèmes épars publiés dans des revues de littérature et de poésie. Mon entreprise de traduction, qui portait sur des recueils entiers, était donc la première de cette ampleur à ma connaissance. J’ai tenu à traduire avant toutes choses son dernier recueil, Faithful and Virtuous Night (2014), sous le titre français Nuit de foi et de vertu. Ce recueil me paraissait particulièrement important pour diverses raisons ; la plus importante est qu’il me semble être, à ce jour, d’un point de vue esthétique, l’aboutissement du travail de cette autrice formidable.
Quel a été votre sentiment quand vous avez découvert que Louise Glück avait reçu le prix Nobel de littérature cette année ?
R.B : J’ai trouvé cela tout bonnement fabuleux. Je n’arrivais pas à y croire, même si je suis convaincu que ce prix est parfaitement mérité ! Je suis ravi que le Nobel ait été attribué à des textes poétiques. Grâce à ce prix, le travail de Louise Glück a une chance de toucher enfin le lectorat qu’il mérite. J’encourage tout lecteur et toute lectrice à découvrir cette œuvre, dans quelque langue que ce soit.