Gilles Pialoux : « La crise du Covid a invisibilisé la lutte contre le sida »
Alors que ce 1er décembre marque la journée mondiale de lutte contre le sida, le professeur Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon (AP-HP/Sorbonne Université) et vice-président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), dresse un état des lieux du VIH dans le monde, évoque les traitements actuels, la PrEP et les autres moyens de prévention contre le virus.
Où en est-on de l’épidémie de sida à l’heure actuelle ?
Gilles Pialoux : En 2021, dans le monde, 38,4 millions de personnes vivaient avec le VIH. Si on se penche sur les données d'incidence cette année-là, on estime à 1,5 million de nouvelles contaminations et 650 000 décès. Alors oui, ces chiffres sont en relative baisse, mais ce n’est pas spectaculaire.
En France, les données ne sont pas très bonnes, amplifiées par le fait qu’elles ont été insuffisamment renseignées, la crise sanitaire n’aidant pas : 41 % des déclarations obligatoires n'ont pas été faites pour des multiples raisons, empêchant la remontée des modes de contaminations et du profil sociodémographique des personnes nouvellement dépistées.
En 2021, on remarque aussi une stagnation du nombre de diagnostics : 5 013, selon les derniers chiffres de Santé publique France, et une augmentation de l’incidence sur certaines catégories de population comme les jeunes hommes nés à l’étranger et ayant des relations sexuelles avec des hommes, et les personnes trans.
Dans l’Hexagone, le dépistage a marqué le pas à cause de la Covid : on a perdu à peu près 900 000 tests en 2020. Il manque une vraie grande campagne de dépistage même si, et cela est une bonne nouvelle, nous avons remarqué une légère remontée du dépistage au premier semestre 2022. Enfin, le dernier marqueur important concerne les diagnostics tardifs. L’année passée, 30 % des nouveaux diagnostics étaient au stade de la maladie, c'est un très mauvais chiffre.
Clairement, la crise de la Covid a invisibilisé la lutte contre le sida entre les différents confinements et les laboratoires embouteillés.
Aujourd’hui, quels sont les traitements possibles en cas de séropositivité ?
G.P. : Énormément de progrès ont été faits dans le domaine avec notamment un panel de nouvelles molécules en développement et plusieurs possibilités d’allégement. Je peux citer l’arrivée des injectables et du couple de molécules antirétrovirales, cabotégravir et rilpivirine. À l'hôpital Tenon, nous l’expérimentons depuis six ou sept ans. Ces injectables font partie des possibilités de simplification pour les patients séropositifs : ils reçoivent alors deux injections intramusculaires tous les deux mois pouvant se pratiquer à l'hôpital puis en ville. Cela dit, le patient doit pouvoir trouver des infirmières et infirmiers compétents pour faire ce type d’injection qui requiert un peu de doigté et nous les aidons en cela.
Dans la liste des autres méthodes d’allégement thérapeutique, notons l’essai ANRS-Quatuor, auquel les trois services de maladies infectieuses de Sorbonne Université ont contribué. Cet essai valide la possibilité de prendre les trithérapies sur quatre jours au lieu de sept. Avec Quatuor, le patient prend son traitement antirétroviral en intermittence au lieu d’une prise quotidienne.
D’autres molécules sont en développement. J'en citerai deux intéressantes : le lenacapavir et l'islatravir qui vont être développés sous la forme de comprimés mensuels ou semestriels, voire en implant sous-cutané comme la contraception hormonale. Cela est prévu d'ici deux à trois ans. Ces deux molécules ont également vocation à être utilisées en prévention…
D’ailleurs, où en est-on de la prévention aujourd’hui ?
G.P. : Concernant la PrEP (prophylaxie pré-exposition), l’efficacité est indiscutable, mais le constat est mitigé. Oui, c’est un outil extrêmement efficace. À Tenon, nous avons été dans les premiers puisque nous avons commencé en 2015 à travailler sur l’étude ANRS-Ipergay de PrEP « à la demande ». Cela consiste à prendre deux comprimés de tenofovir/emtricitabine dans les 2 à 24 h avant un rapport sexuel à risque puis un comprimé 24 h et 48 h après.
Lors du dernier congrès de la Société française de lutte contre le sida, dont je suis le vice-président, nous avons traité des inégalités d’accès à ce traitement. En France, les femmes représentent 32 % des nouveaux diagnostics de VIH, mais seulement 2,5 % d’entre elles ont initié la PrEP depuis 2016. Idem pour les populations d’immigrés.
En Ile-de-France, sur 16 000 « PrEPeurs », les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger sont seulement 1 % à en bénéficier. Elles sont sous-représentées alors qu'elles peuvent avoir des rapports tarifés, des partenaires à risque… Il y a énormément de travail à faire sur l’accès de ces populations à la prévention.
En plus d’être prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, la PreP peut être prescrite en médecine de ville.
Pourquoi la campagne de PrEP se concentre-t-elle sur les hommes gays ?
G.P. : Logiquement, en France, on a beaucoup promu la PrEP chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes car ils représentent une part importante des contaminations. Toutefois, un peu plus de la moitié des nouveaux diagnostiqués en France sont des femmes et des hommes hétérosexuels.
À ce jour, il n'y a pas eu de campagne sur les modes de prévention, sur le dépistage VIH, sur celui des IST… Alors que ce dépistage est possible sans ordonnance et pris en charge par l’Assurance maladie.
Du chemin reste à faire même si beaucoup de choses progressent comme l’essai de PrEP sur la prophylaxie post exposition par antibiotiques. Pour faire simple, il consiste à prendre deux comprimés de doxycycline 100 mg idéalement dans les 24 h et au plus tard dans les 72 h suivant un rapport à risque. Cet antibiotique a déjà montré son efficacité pour prévenir la chlamydia et la syphilis, mais n’est pas encore dans les recommandations nationales.
Si la PrEP est une réussite pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, elle n’est pas encore assez diffusée au-delà de cette cible malheureusement alors qu’elle peut être prescrite à toutes celles et ceux s'estimant à risque du VIH.
Comment peut-on savoir qu’un rapport est à risque concrètement ? Et pourquoi ne pas ouvrir la PrEP à toutes les personnes sexuellement actives ?
G.P. : Toute la question est d'estimer la part du risque. Déjà, on peut se protéger avec des préservatifs, être en couple fermé, se faire tester avec un bilan sanguin sérologique… Cela dit, on remarque que la plupart des couples ne le font pas et décident d’enlever le préservatif sans avoir la certitude que le ou la partenaire est séronégatif.
Pour répondre à votre deuxième question : oui, la PrEP devrait être ouverte à toute personne qui se sent exposée à un risque, d’autant plus qu’en France, la PrEP à la demande est très développée. En plus d’être prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, elle peut être prescrite en médecine de ville.
On a beaucoup parlé de la rapidité à laquelle a été trouvé un vaccin contre la COVID-19. Quid d’un possible vaccin anti-VIH ?
G.P. : On constate une reprise de la recherche vaccinale ces dernières années, notamment avec la start-up de biotechnologie française, Diaccurate. Le laboratoire Moderna s'est aussi mis à faire des essais avec un vaccin ARN anti-VIH.
Si la recherche vaccinale est pavée de bonnes intentions, elle essuie aussi de nombreux échecs. J’ai personnellement commencé à injecter des candidats-vaccins en 1992 pour les essais de phase 1 de l’ANRS lorsque j’étais à l’Institut Pasteur, cela remonte comme vous le voyez ! Avec le recul, un seul essai de phase 3, le RV 144, fait par des scientifiques en Thaïlande entre 2003 et 2009, a montré une petite efficacité d’un vaccin contre le sida de l’ordre de 31 % ce qui est insuffisant. Surtout quand on le compare à la PrEP qui protège à hauteur de 96 %...
Pensez-vous qu’un jour nous pourrons guérir du sida ?
G.P. : Cela me parait compliqué… On butte vraiment sur le fait que ce virus est intégré à la cellule et que toutes les tentatives pour le faire sortir de ladite cellule ont échoué jusqu’à alors.
On est plutôt sur la gestion d'une maladie chronique que sur sa guérison. Reste l’espoir d’une guérison fonctionnelle, c'est-à-dire que les personnes atteintes puissent se passer du traitement.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
G.P. : Mon équipe travaille sur plusieurs thématiques : la prévention et le dépistage des IST, et la réduction des risques pour la consommation de drogues dans un contexte sexuel.
Nous voulons aussi élargir l’offre de santé sexuelle, notamment aux personnes trans qui sont dans un parcours de réassignation à l’hôpital Tenon. Nous sommes en train de développer des outils de réduction de ces risques comme avec une application sur smartphone qui permettrait de savoir quelle drogue l’usager a consommé, ce qu’il doit faire en cas de danger… C'est un projet de recherche ANRS qui avance bien et qui vient de passer devant le comité d’éthique.