
Femmes et hommes scientifiques : l’effet inattendu du genre dans les rétractions d’articles
Les raisons qui justifient qu’on s’intéresse à la place des femmes dans la science ne manquent pas : faire reconnaître leurs contributions au progrès scientifique, élargir les horizons de la recherche, promouvoir l’égalité des chances dans l’accès aux carrières, proposer des rôles modèles pour inspirer de nouvelles générations, etc. Pourtant, un enjeu au moins aussi important reste fréquemment négligé : l’impact de l’équité sur la qualité même de la production scientifique.
Publiée récemment dans la revue Quantitative Science Studies, notre étude soutenue par l’Agence nationale de la recherche montre que la promotion de l’équité en science va bien au-delà de la justice sociale ou de l’élargissement des horizons de recherche : il s’agit également d’agir positivement sur la fiabilité de la science publiée.
Alors que la crise Covid-19 a mis en lumière l’importance des rétractations pour la correction de la science, peut-on établir un lien entre le genre des auteurs et le risque de voir sa publication rétractée ? Ou encore, les publications signées par les femmes ou les hommes sont-elles rétractées pour les mêmes raisons ? Les résultats de notre étude sont parfois inattendus.
Nous montrons notamment que :
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les publications signées par un seul auteur, quel que soit son genre, ont un niveau de rétractation plus faible que les publications à auteurs multiples ;
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dans le cas des publications à auteurs multiples, soit aujourd’hui plus de 8 publications sur 10, les publications signées par des équipes mixtes (homme-femme) dirigées par un homme ont un risque de rétractation plus élevé que celles signées par des équipes mixtes dirigées par une femme ;
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pour les publications à auteurs multiples (mixte et non mixte), les raisons qui justifient la rétractation des publications signées par des équipes dirigées par des femmes diffèrent de celles qui justifient la rétractation des publications signées par des équipes dirigées par des hommes.
Rétracter une publication pour corriger la science
La diffusion des résultats de la recherche passe le plus souvent par les publications scientifiques, sous des formats de plus en plus variés. Le contenu de ces publications fait l’objet d’un examen minutieux conduit par d’autres scientifiques, experts du domaine, afin d’assurer la fiabilité de la science mise à disposition de la communauté scientifique et, plus largement, de toute personne intéressée. C’est ce que l’on appelle généralement le contrôle par les pairs.
La rétractation est un mécanisme qui permet de corriger la science publiée et d’assurer ainsi que les publications à la disposition des scientifiques demeurent fiables. Ce mécanisme consiste, dans son principe général, à soustraire du stock des publications disponibles une publication dont il a été démontré qu’elle contient des erreurs graves ou que son auteur a commis une faute scientifique ou une violation à l’éthique.
Par ailleurs, les rétractations peuvent également concerner des publications, essentiellement dans le domaine médical, contenant des données périmées devant faire l’objet d’une mise à jour.
Au cours des quinze dernières années, le domaine des études de rétractation s’est développé avec un intérêt particulier pour les raisons associées à ces rétractations (erreur ou défaut méthodologique, écart à l’éthique et à l’intégrité, etc.) ou encore pour leurs conséquences potentielles sur la crédibilité de la science. Et de fait la rétractation est parfois interprétée comme un stigmate fragilisant la réputation d’un chercheur ou d’une organisation.
Plus récemment, un nombre restreint de travaux cherchent à mettre en évidence d’éventuelles disparités entre les hommes et les femmes en matière de rétractation. Une étude récente suggère que les motifs justifiant les rétractations diffèrent selon le genre des auteurs. Les femmes seraient sous-représentées dans les fraudes scientifiques, là où elles seraient surreprésentées dans les raisons relevant d’erreurs.
Cette étude exploratoire apparaît comme une invitation à approfondir le lien entre genre et fiabilité de la recherche sur la base d’un échantillon plus large et en tenant compte de la diversité des types d’auteur susceptibles d’être associés à une publication.
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Explorer les collaborations scientifiques
À une publication donnée peut correspondre une variété de types d’auteur. Notre étude retient les types suivants : homme seul, femme seule, collaborations exclusivement masculines, collaborations exclusivement féminines, collaborations mixtes dirigées par un homme et collaborations mixtes dirigées par une femme. Cette typologie reproduit l’approche binaire du genre, à l’œuvre dans la pratique ordinaire des signatures scientifiques.
Pour étudier l’influence du genre sur les rétractations, nous avons mobilisé deux bases de données. D’un côté OpenAlex, un répertoire d’articles scientifiques, d’auteurs et d’institutions en accès ouvert, qui contient près de 70 millions de références, duquel nous avons extrait un échantillon aléatoire d’un million de publications représentant plus de 2,6 millions d’auteurs.
Cet échantillon nous sert à caractériser la distribution des types d’auteur présente dans les publications scientifiques en général. La figure ci-dessous décrit, pour notre échantillon, certaines dimensions de l’évolution de cette distribution entre 2000 et 2024, avec une décroissance spectaculaire des publications à auteur unique, observée à partir de 2010.
De l’autre, Retraction Watch qui recense de façon systématique les rétractations et les notices de rétractation des publications scientifiques. Ce sont dans ces notices que l’on trouve généralement les raisons qui justifient les rétractations. La base Retraction Watch nous permet de caractériser la distribution de genre des auteurs présente dans près des 40 000 publications rétractées et recensées, mais également d’identifier les raisons pour lesquelles ces publications ont été rétractées.
La mise en regard de ces deux bases permet d’identifier les types d’auteur sous-représentés ou surreprésentés parmi les publications rétractées. Nous avons construit un indicateur qui permet de comparer la part d’un type d’auteur dans les publications rétractées à sa part dans l’ensemble des publications de notre échantillon extrait d’OpenAlex.
Un indicateur égal à 1 signifie qu’un type donné d’auteur a le même poids dans les publications rétractées que dans notre échantillon. Un indicateur supérieur à 1 indique une surreprésentation d’un type d’auteur dans les publications rétractées et, donc, un risque de rétractation supérieur, là où un indicateur inférieur à 1 indique une sous-représentation et, donc, un risque de rétraction inférieur.
Nous avons cherché à isoler l’effet propre du genre en contrôlant d’autres facteurs susceptibles d’influencer la probabilité de rétractation. Pour cela, nous avons conduit une régression logistique sur un ensemble équilibré de 15 869 publications rétractées et 15 869 publications non rétractées. Cette analyse statistique nous a permis d’estimer l’impact de la composition genrée des équipes, tout en intégrant des variables de contrôle essentielles : la discipline scientifique, le mode d’accès à la publication (accès ouvert ou non), la présence d’un financement, la notoriété des revues (facteur d’impact) et la taille des équipes de recherche. Afin d’assurer la fiabilité des tendances observées, plusieurs tests de robustesse ont été réalisés.
Des types d’auteur, des profils de rétractation
Premier enseignement : la fréquence des rétractations des publications à auteur unique est toujours beaucoup plus faible que la fréquence des publications à auteurs multiples, et ce, quel que soit le genre de l’auteur correspondant. Là où les publications signées par plusieurs auteurs présentent un indicateur toujours égal ou supérieur à 1, les publications signées par un homme seul présentent un indicateur de 0,46, tandis que les publications signées par une femme seule présentent un indicateur de 0,44.
Ces résultats indiquent que les articles rédigés par des auteurs seuls, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, présentent toujours un risque de rétractation considérablement réduit. On note que les variations observées en fonction du genre ne sont pas significatives.
Ce faible niveau de rétractation pour les publications à auteur unique confirme des recherches antérieures suggérant que ce type de publications, pour l’essentiel des contributions théoriques ou des revues de littérature, réduit le risque d’erreur ou de fraude ; et que ce même risque augmente avec le nombre d’auteurs impliqués, en raison de la complexité accrue du contrôle de l’intégrité des pratiques et des données au sein d’une équipe de recherche. Notre étude montre toutefois qu’il existe un seuil – les collaborations ayant plus de 10 membres – au-delà duquel ce risque cesse d’augmenter, voire décroît.
Deuxième enseignement : pour les publications à auteurs multiples, quelle que soit la configuration observée, ce sont toujours les équipes mixtes qui présentent les risques de rétraction les plus élevés. Les publications collectives signées uniquement par des femmes présentent un indicateur de 0,94 suggérant un risque de rétractation légèrement plus faible pour ces articles. Les publications collectives signées uniquement par des hommes avec un indicateur de 1,11 suggèrent une légère surreprésentation de ce risque. Les différences semblent toutefois limitées.
En revanche, si l’on passe des collaborations non mixtes aux collaborations mixtes, on observe une nette augmentation du risque de rétractation. Pour les publications issues de collaborations mixtes dirigées par un homme, l’indicateur est de 1,92. Ce qui signifie qu’elles sont fortement surreprésentées parmi les articles rétractés. Pour les publications issues de collaborations mixtes dirigées par une femme, on observe là aussi une surreprésentation, avec un indicateur de 1,42, mais d’ampleur plus limitée que pour les hommes. Cet écart constaté nous invite à tenir compte non seulement de la présence des hommes et des femmes dans les collaborations, mais aussi de la place occupée par les unes et les autres dans ces collaborations.
Enfin, troisième enseignement : lorsqu’une publication scientifique à auteurs multiples est rétractée, les raisons qui justifient cette rétractation diffèrent en fonction du genre de l’auteur qui dirige l’équipe de recherche. Comme le montre la figure ci-dessous qui reprend quelques-unes des raisons présentes dans la base Retraction Watch, les équipes dirigées par un homme sont surreprésentées dans les publications rétractées en raison de méconduites caractérisées (1,29), de manquements à l’éthique (1,22), de plagiat d’image (1,34) ou encore d’utilisation frauduleuse d’un nom d’auteur (1,29). Les équipes dirigées par une femme sont, elles, surreprésentées dans les publications rétractées pour des pratiques de plagiat de texte déguisé (1,31) ou non (1,39) et d’erreurs (1,47).
L’exercice de la responsabilité dans les collaborations
Notre étude confirme l’existence de profils de rétractation différents selon le type d’auteur considéré. Pour les publications signées par des équipes mixtes, une publication dirigée par un homme a un risque supérieur de rétractation par rapport à une publication dirigée par une femme. Plus encore, si les deux profils de publications partagent certains manquements à l’intégrité (plagiat, fabrication, manipulation d’image ou de texte), le profil de rétractation des publications dirigées par un homme est surreprésenté dans les écarts caractérisés à l’intégrité (méconduites) et les manquements à l’éthique (absence d’autorisation éthique), là où le profil de rétractation des publications dirigées par une femme est surreprésenté dans les erreurs.
S’il faut se garder de prêter une « nature » plus ou moins vertueuse aux unes et aux autres, nos résultats invitent à être attentif à la façon dont les hommes et les femmes exercent, dans les collaborations scientifiques, leur responsabilité d’encadrement.
Ils permettent par ailleurs de penser ensemble deux priorités institutionnelles : la diversité de genre et l’intégrité scientifique. Il est bien connu que les institutions scientifiques mettent en œuvre des politiques proactives pour assurer une plus grande représentation des femmes dans des domaines tels que la physique, les mathématiques, l’ingénierie et l’informatique ; des disciplines où la présence des femmes est particulièrement limitée.
De même, les établissements d’enseignement et de recherche doivent promouvoir les meilleures pratiques pour garantir la fiabilité des connaissances qu’elles produisent. Ces deux priorités peuvent se renforcer mutuellement, en utilisant la présence des femmes pour améliorer l’intégrité de la recherche et réciproquement.
Catherine Guaspare, Sociologue, Ingénieure d'études, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Abdelghani Maddi, Ingénieur de recherche en analyse et traitement des données, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Michel Dubois, Sociologue, Directeur de recherche CNRS, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.