Disney en lutte contre les clichés ? Vaiana 2, héroïne exploratrice
L’intrépide Polynésienne Vaiana est de retour sur les écrans dans Vaiana 2, film d’animation de Disney nominé aux Golden Globe 2025. Ce personnage découvert en 2016 dans Vaiana La Légende du bout du monde (ou Moana au Québec) présente un modèle d’héroïne aventurière. Un personnage moderne mettant en avant une réalité souvent oubliée des livres d’histoire : l’existence de femmes exploratrices.
L’héroïne du premier long métrage de fiction de Disney, Blanche-Neige en 1937, est victime d’une belle-mère jalouse de sa jeunesse et de sa beauté. Elle se réfugie chez sept vieux garçons de petite taille, pour lesquels elle fait le ménage, avant d’être empoisonnée et « sauvée » par un prince qui l’embrasse sans qu’elle y consente, endormie dans son cercueil. On attend la nouvelle version en prise de vue réelle, en 2025, avec Rachel Zegler. Disney nous annonce une héroïne moderne combative, mais l’histoire peut-elle encore toucher les filles d’aujourd’hui ?
Pendant des décennies, les héroïnes de Disney ont véhiculé des stéréotypes de genre conservateurs : Cendrillon (1950) faisant le ménage et rêvant de trouver le prince charmant au Bal, La Belle au bois dormant, réveillée par le prince qui l’embrasse endormie (1959), Jasmine dans Aladdin (1996) sauvée par le héros, un gentil voleur arabe, etc. Des récits faisant le lit du sexisme, de la culture du viol et du racisme et participant au conditionnement des petites filles.
L’émancipation des héroïnes de Disney apparait progressivement dans les années 1990. Ariel, dans La petite Sirène (1989) sort des limites imposées par son père pour réaliser son rêve, puis en 1998, Mulan s’affranchit des conventions chinoises interdisant aux filles de combattre ; Raiponce (2010) s’échappe de la tour où la retient sa geôlière, pour découvrir ses origines ; Rebelle, en 2012, se révolte contre les traditions de son clan en Écosse et choisit l’arc plutôt que la tapisserie. Vaiana s’inscrit dans cette lignée, dès la bande-annonce qui invite les filles à « libérer leur force » et « prendre en main leur destin ».
Une héroïne de Disney maitresse de son destin
Vaiana, prénom tahitien, signifie « celle qui possède la force » ou « eau de roche ». Dans le premier opus, l’héroïne, fille du roi, va contre la volonté de son père pour franchir la barrière de Corail. Sa grand-mère Tala l’inspire pour gagner en autonomie. Dans Vaiana 2, l’héroïne est désormais l’élue de son peuple, reconnue comme « l’exploratrice ». Elle part avec la bénédiction de ses parents vers des mers dangereuses, pour sauver l’unité des nations polynésiennes. Elle inspire à son tour d’autres filles, comme sa petite sœur et s’adjoint un équipage s’opposant aux clichés : une fille ingénieure navale, un artiste musclé et un vieux jardinier, fiers de rejoindre cette cheffe charismatique qui s’affirme.
Vaiana bouscule le schéma genré du prince venant délivrer la princesse. Elle va sauver son peuple, sans arme, mais avec sa bravoure et son intelligence. Elle vainc un dieu et elle devient une demi-déesse gagnant ses tatouages et ses armes. Sa vaillance lui octroie le soutien de la déesse Matangi. La sororité victorieuse domine à nouveau sur la rivalité féminine traditionnellement mise en valeur, après la Reine des Neiges qui célébrait l’union de deux sœurs et Encanto une famille aux femmes fortes.
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Tenter de sortir de l’ethnocentrisme
Le film tente de rétablir une vision des îles du Pacifique décentrée du regard de l’étranger. Les îles de Polynésie ont été connues des Occidentaux à partir de l’expédition de Bougainville en 1766. Celui-ci décrit Tahiti comme un paradis, lieu de plaisir aux femmes lascives. Les tableaux de Gauguin nourrissent ensuite l’imaginaire de cet Eden luxuriant aux femmes et très jeunes filles alanguies sous les cocotiers, érotisées par le regard occidental.
Vaiana présente une Polynésienne qui ne se réduit pas à l’image stéréotypée de la séduisante vahiné. Elle n’est plus Pocahontas observée par le colon étranger. Si Vaiana danse avec des colliers de fleurs, elle le fait en suivant les traditions de son peuple, pour fêter son retour et non pour séduire un homme.
Le scénario s’inspire de légendes tahitiennes, du folklore, de danses, de chansons et de langues locales. La co-scénariste Dana Ledoux Miller, originaire des îles Samoa, et son équipe de consultants ont contribué à renouveler l’image des insulaires du Pacifique, porteurs d’une culture écologique et en quête d’union entre les peuples.
Ces représentations participent à construire un monde pacifié où l’autre n’est pas un danger et où sa culture est comprise et appréciée. Ne montrer que des images d’enfants blancs invisibilise dangereusement toute une part de la planète, comme le souligne l’autrice afroféministe Chimamanda Ngozie Adichie :
« L’histoire unique vole la dignité des gens, elle nous empêche de nous considérer égaux en tant qu’être humain. »
Les livres et les films jouent un rôle essentiel pour percevoir le monde et les possibles, vaincre les préjugés et avoir une vision inclusive et pacificatrice.
Le sexisme de l’histoire du voyage
En prenant la mer il y a 3000 ans, Vaiana remet également à leur juste place les femmes aventurières prises dans les silences de l’histoire. Les femmes ont toujours été du voyage, mais rares sont les récits à le conter. Françoise D’Eaubonne en 1987 dans Les Grandes Aventurières, s’attaquait à cette zone d’ombre de l’histoire : le terme même d’aventurière étant longtemps associé à des demi-mondaines ou des créatures sans scrupule, alors que l’aventurier était celui qui parcourait le monde. Les Femmes aussi sont du voyage, titre la journaliste Lucie Azema, en 2021 et c’est « l’émancipation par le départ ». Contrairement au modèle de l’Odyssée, avec Ulysse attendu sagement à la maison par Pénélope, nombreuses sont les femmes qui ont pris la route ou écumé les mers : les sœurs en pèlerinage, les femmes partant travailler au loin, les femmes pirates.
Ainsi, au 18e siècle, alors que les femmes étaient interdites sur les navires scientifiques, Jeanne Barret, travestie en homme, s’était engagée comme domestique du botaniste Commerson. Elle a été la première femme à faire le tour du monde avec l’expédition de Bougainville et une pionnière de la botanique.
L’exploration n’est pas par essence masculine. Célébrer ces grandes aventurières, c’est rétablir la vérité historique de toutes celles qui ont parcouru le monde : les anglaises Lady Montagu au 18e en Orient ou Marie Kingsley au 19e en Afrique de l'ouest, les américaines Annie Smith Peck dans les Andes ou Nellie Bly qui fit le tour du monde en 72 jours, l'exploratrice suisse Isabelle Eberhardt au Sahara, la française Alexandra David Neel au Tibet, l'afroaméricaine Sophia Danenberg sur l'Everest.
En 1988, l'australienne Kay Cottie est la première femme à faire le tour du monde à la voile en solitaire et sans escale. Florence Arthaud, Isabelle Autissier, Catherine Chabaud, Ellen Mac Arthur sillonnent depuis les mers en solitaire et gagnent des courses devant des hommes. En 2023, Kirsten Neuschäfer est victorieuse du Golden Globe Race, un tour du monde en solitaire, sans escale et sans moyen de navigation moderne. La plus jeune personne à avoir fait le tour du monde en solitaire sans escale est également une femme : la néozélandaise Laura Dekker. Elle a effectué cet exploit à l'âge de 16 ans. Elle avait commencé à naviguer seule à 6 ans.
Paradoxalement, avec le dessin animé Vaiana 2, une fiction révèle une vérité éclipsée par une histoire officielle encore souvent mâtinée d’une vision ethnocentrée et masculiniste : des femmes ont aussi exploré le monde.
Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.