De nouveaux instruments de musique au service du plus grand nombre
Alors que la fête de la Musique recouvre cette année des allures particulières en raison de la crise sanitaire, la recherche dans le domaine musical continue. Thierry Maniguet, conservateur au Musée de la musique et membre du Collegium Musicæ de Sorbonne Université, nous fait découvrir ces instruments innovants au service des professionnels et des amateurs.
Cette année, la fête de la Musique aura lieu dans un contexte particulier. Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté le monde de la musique ?
Même si le déconfinement s’accélère, ce ne sera pas cette année une fête ordinaire. La crise que nous vivons a fortement touché le domaine de la musique. Un art qui se pratique en groupe et pour lequel la distanciation sociale est antinomique avec le fait de jouer ensemble. De nombreux artistes, techniciens et organisateurs de spectacle se retrouvent en grande difficulté économique. Il en va de même pour les facteurs d’instruments.
Dans ce contexte difficile, les musiciens ont, malgré tout, réussi à faire vivre leur art, autant qu’ils ont pu. Ils ont redoublé d’ingéniosité en jouant ensemble sans être ensemble pendant le confinement, puis en installant des écrans de plexiglas pour les instruments à vent et respecter les mesures sanitaires. Avec la récente réouverture des salles de concert, ils attendent avec impatience le public.
Le Collegium Musicæ travaille sur « l'instrument d'hier au service de l'instrument de demain ». Où en est l'innovation en matière de facture instrumentale aujourd’hui ?
Dans ce domaine, la notion d'innovation est plurielle. Elle a notamment pour objectif d’améliorer sans cesse les instruments très sophistiqués qui sont au service de cet art immatériel. Car pour les musiciens professionnels, le même geste doit produire exactement le même effet sonore et cela de façon parfaitement contrôlable. Encore aujourd’hui, les facteurs d’instruments, parfois accompagnés par des laboratoires de recherche comme ceux du Collegium, travaillent au quotidien pour obtenir cette reproductibilité optimale.
Mais l’innovation passe aussi par la redécouverte d’instruments anciens. Car ce que l’on a gagné en justesse et en précision avec les instruments de pointe récents, s’est fait au détriment de la liberté (en termes de fréquence, d’intensité, d’effets, etc.) qu’offraient d’anciens instruments que l’on cherche aujourd’hui à re-fabriquer.
À quoi ressemblent les nouveaux instruments de musique ?
Hormis la création des instruments électroniques dans la première moitié du XXe siècle, la nouveauté absolue en facture instrumentale, qui était fréquente au XIXe siècle, est rare aujourd’hui. Les musiciens eux-mêmes, après de longues années d’apprentissage et de maîtrise d’un instrument, sont souvent peu enclins à une transformation trop radicale de leur outil de travail.
Dans ce contexte, les nouveaux instruments sont la plupart du temps des évolutions d'instruments plus anciens. Citons par exemple les « instruments augmentés » : des instruments acoustiques auxquels on ajoute, par un dispositif électronique, une fonctionnalité.
On peut aussi installer sur des instruments acoustiques un système de « contrôle actif ». Développé par plusieurs chercheurs au sein du Collegium, ce système permet d’agir au cœur du fonctionnement de l’instrument en y introduisant un capteur, un calculateur et un actionneur, créant ainsi de nouvelles possibilités sonores pour l’instrument.
La révolution numérique a également permis de développer de nouveaux types de contrôleurs gestuels - l’interface que l'instrumentiste active pour mettre en jeu des structures sonores (clavier, tube, clés, pistons, touches, etc.). Désormais, le geste lui-même peut se faire instrument grâce à des capteurs posés sur le corps qui informent l’instrument numérique des mouvements du musicien.
Parmi ces nouveaux instruments, le Collegium Musicæ développe aussi des « instruments pour tous ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les nouvelles technologies permettent d'appréhender rapidement la structure et la géométrie des instruments. Grâce à la tomographie 3D (ou scanner 3D), nous pouvons, par exemple, modéliser puis reproduire dans des matériaux de synthèse des instruments relativement simples en termes de conception.
Au Musée de la musique, nous avons par exemple reproduit un exemplaire, datant du début du XVIIIe, de l’ancêtre de la flûte traversière moderne. À partir des données numériques obtenues par tomographie 3D, il a été imprimé en résine, avant d’être testé auprès de musiciens. Nous avons analysé leurs ressentis lors d’études psycho-acoustiques menées en partenariat avec le laboratoire Lutherie - Acoustique - Musique1 de l’Institut Jean Le Rond ∂’Alembert et le résultat était tout à fait concluant.
Des équipes du Collegium Musicæ participent également à des recherches autour d’une harpe en carton. Dans ce projet, comme dans d’autres, l’idée de départ était de voir comment il était possible de concevoir des instruments de qualité avec des matériaux très différents de ceux utilisés dans la facture instrumentale traditionnelle. Cette dernière s'appuie sur des matériaux qui sont désormais protégés, comme l’ivoire ou certaines essences de bois. Il faut donc accompagner les facteurs d’instruments dans la réflexion sur les procédés de fabrication et dans la recherche de matériaux de substitution ayant les mêmes caractéristiques acoustiques, mais aussi de résistance thermique et hygrométrique.
Quels sont leurs usages ?
Ces « instruments pour tous » n’ont pas vocation à remplacer les instruments des musiciens professionnels. Il s’agit d’une démarche complémentaire. À ce titre, ils n’ont pas besoin d’être aussi perfectionnés et résistants que les instruments à usage professionnel. Ces instruments, qui pourraient à terme être produits à des coûts limités, offrent des possibilités intéressantes pour les pratiques amateurs ou l’apprentissage des enfants. Par exemple, apprendre à jouer sur un trombone en plastique permet aux enfants d’utiliser leur instrument en toute sécurité car il s’agit d’un objet de qualité bien plus léger qu’un trombone classique potentiellement dangereux pour la santé des plus petits.
Dans le programme de recherche « instruments pour tous », nous travaillons également au sein du Collegium à la prise en compte des situations de handicap. Nous entamons des collaborations, par exemple, avec des musiciens professionnels qui, en raison de problèmes invalidants, ont perdu la maîtrise totale du geste, pour développer avec eux des instruments appareillés.
D’une manière générale, ces nouveaux instruments sont l’une des réponses possibles pour rendre accessible la pratique musicale au plus grand nombre. Un art souvent perçu comme difficile, intellectuel et nécessitant un long apprentissage. C’est pourquoi il est important de développer, comme nous le faisons au sein du Collegium, des leviers forts pour que cet art soit partagé beaucoup plus largement.
1 LAM (Sorbonne Université, CNRS)
Crédits photo : Flûte Hotteterre réalisée avec le soutien de la Fondation des Sciences du patrimoine © Charles d'Hérouville, Cité de la musique / Philharmonie de Paris