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Cybathlon 2024 : la recherche au service des prothèses et des solutions d'assistance

Le Cybathlon 2024 approche. Cette compétition internationale, qui combine technologie et défis quotidiens, est une occasion unique pour tester des solutions qui pourraient révolutionner le domaine des prothèses et des dispositifs d’assistance. L’équipe de Nathanaël Jarrassé, chercheur à l’ISIR, est en pleine préparation. Avec ses projets Smart ArM et Smart Arm ROB, elle se positionne à la pointe des innovations robotiques pour les personnes en situation de handicap.

Smart ArM : Piloter les prothèses grâce aux mouvements du corps

Le projet Smart Arm, dirigé par Nathanaël Jarrassé, a vu le jour en 2019 après plusieurs années de recherches sur les prothèses de membres supérieurs. Ces recherches se sont concentrées sur la manière dont les utilisateurs de prothèses pouvaient contrôler les membres artificiels en exploitant les signaux résiduels de leur corps, comme les contractions musculaires et les mouvements compensatoires. « Nous avons mis en place des systèmes qui permettent à une prothèse de répondre plus finement aux commandes musculaires, notamment en analysant plus précisement les signaux myoélectriques et entraînant les utilisateurs », précise Nathanaël Jarrassé.

En 2019, l'équipe Smart Arm rencontre Christophe Huchet, un ancien parathlète né sans avant-bras droit, et commence à travailler avec lui. « Contrairement à un amputé traumatique, Christophe n’a jamais eu d’avant-bras, ce qui change tout en termes de perception corporelle et de rapport à la prothèse », souligne le chercheur. L’équipe développe alors un coude exosquelettique couplé à une emboîture équipée de plusieurs électrodes capturant les mouvements musculaires résiduels avec une précision bien plus fine qu’une prothèse commerciale classique.  

Depuis l’équipe n’a eu de cesse d’améliorer la technologie. Des collaborations avec l'entreprise néo-zélandaise Taska ont permis d’intégrer des mains prothétiques digitales très avancées, ainsi qu’un contrôle des mouvements encore plus précis. Grâce aux 8 électrodes de sa prothèse, le pilote, Christophe Huchet, peut désormais ajuster la vitesse de ses gestes, en fermant doucement la main sur un petit objet, ou plus rapidement sur des objets plus gros ; et grâce aux mouvements de son corps mesurés par des centrales inertielles, il peut simultanément contrôler le coude et le poignet de la prothèse.

 

Les équipes Smart Arm et Smart Arm Rob en images

Smart Arm ROB : Un bras robotique pour les paralysies lourdes

Au-delà des améliorations matérielles, les recherches de l’équipe sur les algorithmes de contrôle du mouvement ont également connu des avancées. Ces algorithmes, qui exploitent les mouvements résiduels du corps, se sont révélés applicables à des personnes présentant des handicaps plus graves, comme les paralysies complètes ou partielles des membres inférieurs et supérieurs. « Nous avons constaté que nos approches pouvaient être adaptées pour offrir un contrôle d’un bras robotique d’assistance à des personnes ayant un fort niveau de paralysie », ajoute Nathanaël Jarrassé.

C’est dans ce contexte qu’est né le projet Smart Arm ROB. « Nous avons travaillé sur des approches de contrôle basées sur le mouvement pour des bras robotiques montés sur fauteuils », explique Nathanaël Jarrassé. Ces dispositifs, disponibles depuis quelques années, sont destinés aux personnes atteintes de handicaps importants comme les tétraplégies ou les locked-in syndromes. Ils permettent de réaliser des tâches du quotidien comme attraper des objets. Cependant, le contrôle de ces bras reste contraignant et difficile.

« Pour surmonter ces limitations, nous avons développé un bras robotique, couplé à un ordinateur embarqué et à des caméras qui captent les mouvements résiduels du corps de la personne, comme ceux du cou, des épaules ou du tronc, et les projettent ensuite sur le robot. Cela permet d’offrir une solution non-invasive, adaptée aux capacités des utilisateurs », précise le chercheur. L’équipe a également utilisé un casque de réalité augmentée pour permettre un contrôle basé sur la tête. « La clé de nos innovations est d’avoir différentes briques de commandes basées sur les mouvements fantômes, sur l'IA pour décoder les contractions musculaires, sur les coordinations du corps, sur les mouvements compensatoires, etc., afin de proposer une solution adaptée à la personne, en fonction de ses capacités et préférences. »

Pour tester leur dispositif, l’équipe collabore depuis quelques mois avec Étienne Moullet. Cet ancien doctorant de l’ISIR en neurosciences et robotique est tétraplégique et pilote de l’équipe Smart Arm ROB pour le Cybathlon 2024. « Étienne est un expert des problématiques de contrôle robotique », souligne Nathanaël Jarrassé. Aujourd’hui chercheur post-doctorant à l’INRIA, il travaille à l’exploitation de reconnaissance d’objets pour optimiser le pilotage de la stimulation électrique fonctionnelle des muscles de la main d’une personne tétraplégique en faisant en sorte qu’elle adopte la posture de saisie la plus adaptée. « Dans le futur, nous espérons également pouvoir intégrer une main robotique plus sophistiquée qui, grâce aux travaux de recherches d’Étienne, serait capable de saisir des objets de différentes tailles et formes, en choisissant automatiquement la meilleure configuration », précise le chercheur.

En attendant ces derniers développements, les pilotes Etienne Moullet et Christophe Huchet s’entraînent chaque semaine avec les équipes scientifiques de l’ISIR pour la compétition du Cybathlon fin octobre. Un véritable « test en conditions réelles » pour ces technologies prometteuses.

 

Entraînement de l'équipe Smart Arm Rob ©Sorbonne Université

Le Cybathlon : un terrain d’innovation unique

Bien plus qu’une simple compétition, le Cybathlon est une vitrine technologique où les dispositifs développés pour les personnes handicapées sont mis à l’épreuve dans des tâches du quotidien. Depuis la première édition en 2016, Nathanaël Jarrassé est un fervent défenseur de l’événement. « Au début, nous avions des doutes sur le message véhiculé par ces compétitions. Mais en assistant à l'événement à Zurich, on a réalisé à quel point elles mettaient en avant l’humain et stimulaient la recherche », raconte le scientifique.

Le Cybathlon est une compétition particulière en ce qu’elle met l’accent sur les défis du quotidien des personnes handicapées, un aspect essentiel selon Nathanaël Jarrassé : « Le Cybathlon met en avant le fait que le quotidien, pour les personnes en situation de handicap est un sport de haut niveau. » Cet évènement pousse les équipes à adapter leurs technologies aux besoins des utilisateurs et offre un cadre unique pour tester les dispositifs dans des environnements proches de la vie quotidienne, bien au-delà des conditions de laboratoire.

Pour Nathanaël Jarrassé et son équipe, l’objectif du Cybathlon n’est d’ailleurs pas de remporter des médailles, mais d'attirer l’attention sur des recherches qui ciblent des niveaux de handicap souvent négligés. « Nous ne sommes pas là pour gagner, mais pour mettre en avant nos recherches, notamment sur les amputations hautes de membre supérieur ». Contrairement à l’intérêt pour les prothèses de main, peu de recherches se concentrent sur les amputations au niveau du coude ou de l’épaule, un domaine pourtant crucial. « Ces amputations touchent souvent des jeunes actifs, des ouvriers ou des agriculteurs, pour lesquels il est essentiel d’avoir des solutions adaptées », explique le chercheur.

 

Transférer les innovations vers l’industrie

Mais l'ambition de Nathanaël Jarrassé ne s'arrête pas au Cybathlon. « Il y a le labo, le Cybathlon, mais aussi le monde extérieur », note le chercheur. Cette démarche anticipe l’avenir des recherches, qui visent à rendre les technologies utiles au quotidien. Cet été, le pilote Christophe Huchet a d’ailleurs utilisé la prothèse de bras chez lui pour la première fois, réalisant des tâches domestiques comme vider le lave-vaisselle ou cuisiner, hors du cadre compétitif du Cybathlon. « Cela témoigne que nous avons franchi un cap en termes de maturité et de réalisme de nos innovations », se félicite le chercheur dont l’équipe a remporté en 2022 un challenge Cybathlon.

Car à terme, l’un des enjeux de l’équipe est de transférer ses innovations vers l'industrie pour qu'elles bénéficient au plus grand nombre. « Notre objectif est que les fabricants puissent implémenter nos algorithmes de contrôle sur du matériel commercial existant pour étendre les capacités des utilisateurs », précise-t-il. Le projet Extender porté par Guillaume Morel, professeur de robotique à Sorbonne Université, développé en partenariat avec l’entreprise française Orthopus, a cette ambition. Soutenu par des financements publics, il a pour but de produire un bras robotique d’assistance à six degrés de liberté comparable à celui utilisé lors du Cybathlon.

Les recherches de l’équipe s'inscrivent également dans un projet d'envergure baptisé Réinvent. Soutenu par le PEPR O2R, ce projet a démarré il y a quelques mois et s'étalera sur huit ans, avec un budget de plus de 3,5 millions d’euros. « Il rassemble des partenaires allant des laboratoires de sciences humaines et sociales aux laboratoires cliniques, en passant par les meilleures équipes de robotique et de neurosciences en France », explique Nathanaël Jarrassé. L’objectif est ambitieux : « explorer des façons de réinventer la prothèse », affirme le chercheur. Le projet vise à concilier les besoins individuels des utilisateurs avec une perception renouvelée de l'objet prothétique, dans une démarche pluridisciplinaire, mêlant anthropologie, ethnologie des techniques et retour d’expérience des utilisateurs.

Loin du mythe de l’homme augmenté et des cyborgs, l’équipe de Nathanaël Jarrassé continue à œuvrer, dans une démarche humaniste et éthique, pour faciliter la vie des personnes appareillées et sensibiliser le grand public aux défis qu’elles relèvent au quotidien.


Toutes les épreuves seront retransmises en direct du 25 au 27 octobre sur le site du Cybathlon.

En savoir plus sur le programme complet de la compétition.