Covid-19. "Nous avons su nous adapter à une situation inédite"
Entretien avec Alain Tallon, doyen de la faculté des Lettres.
Le doyen de la faculté des Lettres, Alain Tallon, revient sur la façon dont le confinement a impacté ses activités administratives, de recherche et de formation ainsi que celles des communautés scientifiques et étudiantes.
Comment avez-vous vécu cette période en tant que doyen de la faculté des Lettres ?
Alain Tallon : Le plus terrible pour toute notre communauté a été le décès des suites du Covid-19 de l’administrateur de la maison de la recherche, notre collègue Joseph Chauleau, à 56 ans. Des collègues et des étudiants ont été malades ou ont eu des proches malades. Ce qui m’a frappé est la volonté de toutes et tous de continuer de travailler, voire d’en faire plus que d’habitude. Je le dis souvent : comme doyen, j’ai eu bien plus souvent à appuyer sur le frein que sur l’accélérateur.
Les moyens de communication et l’engagement de toutes et tous ont limité l’impact de la fermeture des locaux. Nous avons donc pu assurer les tâches administratives essentielles et nous n’avons pas d’inquiétudes sur le bon déroulement de nos missions.
La continuité pédagogique a été assurée pendant tout le dernier trimestre. Comment cela s’est-il passé concrètement ?
A. T. : En effet, les étudiants ont eu des enseignements par divers canaux, même si tout le monde a pu se rendre compte que rien ne remplace l’enseignement classique d’un professeur devant ses étudiants. Pour ce qui me concerne personnellement, j’ai expérimenté la solidarité des équipes pédagogiques, avec des collègues qui ont été admirables dans leur accompagnement des étudiants quand je pouvais difficilement avoir le même investissement, en raison d’abord de ma charge de doyen et surtout, je dois bien l’avouer, de mon incompétence technologique !
En ce qui concerne la recherche, elle se fait pour nous avant tout en archives et bibliothèques. Leur fermeture a évidemment eu des conséquences, mais il y a eu beaucoup de nouvelles ressources en ligne qui ne pallient pas totalement le manque d’accès à la documentation, mais permettent de ne pas totalement interrompre nos activités de recherche. Beaucoup de collègues, et cela a été aussi mon cas, ont expérimenté un phénomène étrange de la page blanche, alors même que nous arrivions à continuer nos recherches ou faire nos cours à distance. Mais l’écriture, au cœur de notre existence en faculté des Lettres, devenait difficile, voire impossible. Comme si la solitude du confinement affectait notre capacité même à communiquer.
Quel bilan tirez-vous de cette période au niveau de l’enseignement ?
A. T. : Il est très contrasté et il nous faudra sans doute du temps pour une évaluation en profondeur. Nous avions eu une année déjà très dégradée avec les grèves des transports en décembre et janvier. Paradoxalement, cela a fait que beaucoup de collègues étaient déjà très au fait des moyens pour assurer une continuité pédagogique en temps de crise. À nouveau, l’existence de véritables équipes pédagogiques, avec la diversité des talents de chacun, a été cruciale pour maintenir le bon encadrement des étudiants.
Pensez-vous que cette crise aura durablement transformé la pédagogie universitaire ?
A. T. : Comme historien, dédié donc au passé, je suis toujours très prudent sur le futur ! Ce qui me frappe, c’est l’inquiétude de très nombreux collègues qui pensent que la crise sanitaire va induire des changements majeurs imposés. Avec le président, je tiens à les rassurer. Nous avons dû nous adapter du jour au lendemain à une situation inédite et nous avons prouvé que nous en étions capables. Mais cela n’a rien à voir avec une réflexion sur le long terme à propos de notre pédagogie, qui doit être menée dans le calme, la concertation et le respect des spécificités disciplinaires.
Vous continuez à donner des cours en première année de licence. Dans le contexte actuel, comment envisagez-vous la rentrée avec les nouveaux bacheliers ?
A. T. : Je suis dans une discipline, l’histoire moderne (i.e. XVIe-XVIIIe siècles) dont les étudiants de première année n’ont plus entendu parler depuis la 5ème. J’ai donc l’habitude, comme mes collègues de l’équipe pédagogique, de prendre en compte une absence totale de connaissances préalables et cela est le cas dans la plupart des cursus de notre faculté. Je ne suis pas non plus très inquiet sur l’absence des épreuves du baccalauréat.
J’enseigne depuis toujours en première année et mon inquiétude porte sur les décrocheurs, particulièrement nombreux déjà en année « normale » et qui risquent de l’être plus encore. Là encore, ce n’est pas inédit et il nous faut renforcer des dispositifs qui existent déjà. Il faut surtout que les étudiants s’en saisissent car bien souvent ces aides pédagogiques ne touchent pas ceux qui en ont le plus besoin. Un effort supplémentaire d’information est absolument nécessaire. Mais je ne pense pas que nous aurons des étudiants de première année très différents de ceux que nous avons accueillis les années précédentes. Ils auront besoin de la même attention et je ne doute que nous saurons le leur donner.