COVID-19 : « Les populations urbaines ont fait preuve d’une grande capacité de résilience psychologique et sociale »
Outre les problématiques médicales et de recherche fondamentale, l’épidémie de Covid-19 et la situation inédite de confinement ont impacté tous les secteurs de la vie courante et fait naître de nouveaux enjeux et interrogations, notamment en matière d’urbanisme. Architecte-urbaniste, professeure à Sorbonne Université et responsable du Master Urbanisme et Aménagement à la faculté des Lettres de Sorbonne Université, Patrizia Ingallina évoque ces questionnements et les pistes de réflexion liées.
En quoi l’épidémie de Covid-19 a-t-elle impacté les problématiques d’urbanisme ?
Tout d’abord, cette épidémie a mis à l’épreuve des capacités des gouvernements nationaux, notamment dans l’organisation d’un système de gouvernance ad hoc, à intervenir à toutes les échelles territoriales. Par ailleurs, les populations urbaines, restées confinées durant plus de deux mois, ont fait preuve d’une grande capacité de résilience psychologique et sociale. La résilience des villes, vidées de leurs fréquentations a été également testée.
Bien que les différences entre pays soient notables, ce contexte sanitaire a permis d’amplifier des problématiques déjà à l’étude en urbanisme comme l’impact de la pollution sur la santé, les effets néfastes d’une forte densité de population, la nécessité de développer des moyens de transports alternatifs, d’encourager la marche à pied et de favoriser la biodiversité sans oublier la lutte contre la précarité sociale. L’espace de travail a été aussi impacté. Si le télétravail devait se pérenniser, la désertification des quartiers d’affaires poserait le problème de leur réaffectation.
Si les sociabilités numériques ont permis de garder un semblant de vie sociale, elles n’ont pas remplacé pour autant l’exigence d’entretenir des sociabilités physiques. Les dynamiques socio-spatiales, affectées par la distanciation sociale, interrogent sur les nouveaux usages de l’espace public et sur des formes d’espaces ayant des logiques adaptatives (distancing design). Aussi, l’exigence d’isoler les patients Covid 19 a renforcé l’idée d’un urbanisme tactique, avec la proposition d’unités de santé modulables. Une étude sur la région de Milan a en effet montré que la concentration d’équipements sanitaires dans cette région a été l’une des causes de la propagation du virus d'abord auprès des personnels sanitaires et ensuite sur tout le territoire.
Enfin, cette épidémie a fait apparaître des disparités territoriales très fortes entre les régions métropolitaines, foyers majeurs du virus, et les autres territoires moins fortement touchés. Pour mieux comprendre ce phénomène, les données de l’urbanisme doivent croiser celles de la médecine afin d’établir une corrélation entre les spécificités de chaque territoire et l’augmentation du nombre de testés positifs.
Quels exemples de solutions les urbanistes pourraient-ils apporter pour éviter que cette situation ne se reproduise ?
Certaines solutions ne sont pas à chercher dans l’urbanisme mais dans l’urbanité, à savoir les conduites des citoyens. Il n’y a pas non plus de solution unique car les contextes sont différents. Globalement, trois domaines nécessiteraient une réflexion plus approfondie: les mobilités, les relations entre l’environnement urbain et la santé et l’utilisation de technologies pour améliorer l’accès à des services et des espaces. En voici trois exemples.
Vecteurs majeurs de transmission du virus dans les régions métropolitaines particulièrement denses, les circulations dans les transports ont montré qu’elles devaient être repensées. Pour les déplacements intra-urbains, il s’agit d’encourager le vélo et la marche à pied. La « ville du quart d’heure » proposée par Anne Hidalgo est, entre autre, une idée à creuser.
La densité du bâti, avec la diminution progressive des espaces végétaux, a déjà eu des effets néfastes sur la santé avec la formation d’îlots de chaleur et d’espaces insuffisamment aérés et pollués (CO2). Or, des études ont établi une relation directe entre la pollution de l’air et la diffusion du virus. La densité de peuplement associée à la précarité sociale dans certains territoires a aussi pu contribuer à l’accélération de l’épidémie. Il faudra penser davantage d’espaces de nature en ville et une architecture « biophile », la nature étant notre assurance vie.
Enfin, le prototype d’unité de soins intensifs pour les patients de Covid-19, imaginé par l’architecte Carlo Ratti dans des containeurs d’expédition connectés entre eux et testés à Turin donne un bon aperçu des possibilités offertes par l’urbanisme tactique pour ce type de situation.
Au regard de cette crise sanitaire, quelle place accorder aux enjeux de santé publique en matière d’enseignement et de formation ?
Dans une ville « knowledge – based », les universités « knowledge industries » auront un rôle majeur dans la diffusion de connaissances à travers une offre de formation de plus en plus ciblée, y compris en matière de santé publique. Le master Urbanisme et Aménagement que je coordonne à la faculté des Lettres a su anticiper cette exigence en associant les savoirs de l’urbanisme, des sciences et de l’architecture [NDLR par le biais d’un partenariat avec l’École d’Architecture de Casablanca] et en misant aussi sur ceux de la médecine dans un avenir proche. Formation unique en Île-de-France, ce master bénéficie de l’apport de partenaires privés et publics d’envergure tout en valorisant les innovations écologiques et technologiques pour une ville plus saine.