Covid-19. Entretien avec Karine Lacombe, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales
Professeure à la faculté de Médecine et cheffe de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Saint-Antoine.
Karine Lacombe est également chercheuse à l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique (IPLESP), au sein de l’équipe « Épidémiologie clinique des maladies virales chroniques ».
Elle nous apporte son regard sur la crise sanitaire actuelle et les pistes thérapeutiques à l’étude.
Vous êtes à la fois médecin, enseignante et chercheuse. Quelles forces cette triple casquette vous apporte-elle dans la gestion de cette crise sanitaire ?
La connaissance du patient et du soin, avec un focus très clinique, sont deux choses fondamentales qui alimentent la réflexion autour de la recherche car je suis avant tout une épidémiologiste et une clinicienne. En parallèle, enseigner me permet d’avoir les bons outils pédagogiques pour délivrer les messages adéquats dans une période où l’anxiété généralisée amène souvent à faire des raccourcis. Or nous avons précisément besoin du recul et de la pédagogie pour faire passer un message juste, sans être ni trop alarmistes ni trop rassurants. Grâce à mon expérience de l’enseignement, je peux rester sur cette ligne de crête. Par ailleurs, mes connaissances, en particulier en matière de recherche clinique, m’ont tout de suite permis de monter un protocole de recherche pour répondre à une question inspirée par mon observation clinique. Tout cela est extrêmement complémentaire.
Ces dernières semaines, votre rythme déjà soutenu de cheffe de service à l’hôpital Saint-Antoine et de chercheuse à l’Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique (IPLESP) s’est intensifié avec de très nombreuses interventions dans les médias. Pourquoi y consacrez-vous autant de temps ? Quel regard portez-vous sur la société actuelle de l’information ?
Intervenir dans les médias est un moyen de faire le lien entre la connaissance scientifique, la pratique clinique et la vulgarisation à destination de nos concitoyens. Durant le premier mois de la crise, j’ai trouvé les messages délivrés très alarmistes et anxiogènes. Si je me suis permise de prendre la parole, c’est pour apporter plus de sérénité dans le débat en transmettant un regard basé sur la science, avec une dose de vulgarisation. J’ai d’ailleurs été fortement encouragée en cela car toutes mes premières apparitions médiatiques ont été reçues positivement jusqu’à ce que, sur un fondement purement scientifique, je m’oppose à ce qui était promulgué sur la chloroquine.
Selon moi, il y a deux types d’informations : celles relayées sur les réseaux sociaux, sur lesquelles nous n’avons aucune prise et qui sont beaucoup d’informations anonymes non vérifiées, souvent fausses, et relayées massivement sous le couvert de l’anonymat et du sensationnel. Il s’agit d’une différence majeure avec les médias « traditionnels » qui sont quant à eux contrôlés, avec des journalistes – non anonymes – effectuant une vérification des faits qu’ils avancent.
C’est la première fois que je suis exposée médiatiquement de cette façon et à ce titre, j’ai constaté un énorme fossé entre ces deux types d’informations. Les réseaux sociaux peuvent être très inquiétants car y circule parfois une vision très sombre de la société. Ce qui s’y passe actuellement est bien sûr très lié à l’angoisse du Covid-19 mais l’est tout autant à l’angoisse que représente le confinement en lui-même. Dans cette crise cependant, la propagation d’informations erronées sur les réseaux sociaux est selon moi bien plus angoissante que la situation sanitaire et médicale, que nous maîtrisons. En effet, quoi que l’on puisse en dire, nous ne nous sommes pas si mal débrouillés que cela sur le plan national. Une grosse partie de la communauté médicale et scientifique a fait montre d’une exemplarité dans la prise en charge des malades et dans les initiatives en termes de recherche. Mais la façon dont le sujet a été traité sur les réseaux sociaux est catastrophique et la défiance d’une partie des Français vient de là. Le confinement et les angoisses qu’il suscite ont sans doute accentué cette « main basse » des réseaux sociaux sur les citoyens.
C’est pour cela que je reste convaincue que communiquer dans les médias fait sens. Actuellement, malgré les sollicitations médiatiques toujours très nombreuses, je m’exprime moins qu’au mois de mars car nous sommes à présent dans une nouvelle phase, celle des tests et des traitements dont nous attendons les résultats. Je considère qu’il est de notre rôle de nous manifester et de sortir de notre zone de confort, en tant qu’universitaires. C’est un challenge mais c’est très important pour que nos patients et les citoyens sachent que, dans cette crise, nous nous « mouillons » avec de bons arguments sans alimenter stérilement les polémiques.
Quels sont les principaux types d’essais cliniques menés et pistes thérapeutiques à l’étude ?
Le panorama de la recherche clinique en santé publique sur le Covid-19 en France est très large. Au niveau thérapeutique, il y a trois grands types d’essais cliniques. Premièrement, ceux qui évaluent les molécules antivirales et s’adressent aux patients en phase précoce de l’infection. Deuxièmement, les essais cliniques destinés à prévenir l’infection, menés notamment chez les soignants, avec par exemple l’étude SEROCOV (suivi sérologique des soignants) ou encore l’essai PREP-COVID (traitement prophylactique du COVID chez les soignants). Enfin, on compte les essais thérapeutiques avec des traitements immunomodulateurs et qui concernent des patients plus avancés dans la maladie voire en réanimation. C’est dans cette catégorie que se situe l’essai Corimuno-plasm [que nous aborderons plus loin, NDLR].
En recherche physiopathologique fondamentale, de nombreux travaux sont menés. Ils concernent notamment l’étude de la cellule, les réponses immunes au virus ou encore son séquençage afin de mettre à jour d’éventuelles mutations ou une résistance aux antiviraux. A cela s’ajoute l’élaboration de traitements s’adressant aux mécanismes physiopathologiques de l’infection et pouvant, par exemple, viser les récepteurs d’entrée du virus au niveau des cellules.
Concernant la recherche vaccinale, de nombreuses pistes sont étudiées à travers le monde, avec tout d’abord un repositionnement de certains vaccins en cours de développement pour d’autres maladies comme l’infection Ebola, mais également l’élaboration de vaccins spécifiques du SARS-CoV2.
Par ailleurs, les épidémiologistes utilisent les bases de données massives (big data) pour évaluer l’impact du Covid-19 sur l’état de santé de la population ou encore la consommation de soins médicaux à plus long terme, sans oublier l’apport très complémentaire des sciences sociales qui nous permettent, par exemple, de mesurer les effets du confinement ou le retard dans la prise en charge des patients (hors Covid-19) dû au confinement.
Vous coordonnez l’essai clinique Corimuno-plasm, démarré la semaine du 6 avril. En quoi consiste-t-il ? Quelles pistes prometteuses représente-t-il dans la lutte contre le Covid-19 ?
Corimuno-plasm est un essai clinique lancé par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), avec un financement de Sorbonne Université et mené en partenariat avec l’Etablissement Français du Sang (EFS). Le principe de cet essai réside en la transfusion du plasma de convalescent, à l’intérieur duquel se trouvent des anticorps neutralisants spécifiques du SARS-CoV2, à des patients hospitalisés avec des critères de gravité tels que l’oxygénodépendance. Nous misons sur ces anticorps neutralisants pour créer un transfert d’immunité passive entre les patients ayant guéri du Covid-19 et ceux malades. L’objectif est de neutraliser le virus et d’améliorer l’état des patients sans attendre qu’ils développent spontanément des anticorps afin de leur éviter la réanimation et la ventilation invasive.
Après la collecte du plasma durant la semaine du 6 avril, la culture cellulaire a permis de mesurer le taux d’anticorps neutralisants présents dans ce plasma. Ces deux premières opérations ont été réalisées au sein de l’IHU Méditerranée Infection à Marseille. Dans un premier temps, les patients destinés à recevoir ce plasma sont au nombre de 60, auxquels nous aurons la possibilité d’ajouter à nouveau 60 patients. Ils ont été recrutés dans certains établissements de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, à savoir les hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière (service des maladies infectieuses), Saint-Antoine et Tenon (services des maladies infectieuses et de médecine interne). Trois étapes de vérification seront décisives dans cet essai : une première vérification à 4 jours avec un critère de jugement de tolérance, une seconde évaluation d’efficacité de la transfusion à 7 jours, avec un critère définitif à 14 jours.
Si l’essai est concluant, l’Etablissement Français du Sang (EFS) envisage le lancement d’une campagne massive de don de plasma de patients convalescents afin de mettre à disposition ces poches de plasma dans toutes les régions en fonction des besoins. Nous espérons les résultats pour le début du mois de mai et la possibilité d’étendre cet essai à des patients en réanimation est actuellement à l’étude.