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Comment protéger notre potentiel scientifique et technique ?

Consciente des risques d’ingérence étrangère et de captation technologique dans les activités universitaires, Sorbonne Université met en œuvre des bonnes pratiques en matière de protection de la recherche et de la formation. Entretien avec Philippe Boulanger, chargé de mission Protection du potentiel scientifique et technique.

Philippe Boulanger - Crédits : Sorbonne Université

Spécialiste des questions géopolitiques et géostratégiques, le professeur des universités Philippe Boulanger dirige le master Gaed Géopolitique-Geoint à la faculté des Lettres. Chargé de mission Protection du potentiel scientifique et technique (PPST) de Sorbonne Université, il nous explique l’importance et les enjeux de sa mission dans un contexte international toujours plus incertain.

Quels sont les objectifs principaux de votre mission ?

Philippe Boulanger : J’ai repris, en octobre 2022, la mission de coordination du groupe de travail PPST mise en place à Sorbonne Université dix mois plus tôt. Elle recouvre quatre grandes fonctions. La première vise à identifier les actions prioritaires à mener et les moyens à mobiliser pour sécuriser les activités de recherche et de formation de douze laboratoires de Sorbonne Université classés PPST par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI). La deuxième consiste à contacter les directeurs et directrices d'unité pour échanger sur leur culture de recherche, l'identité de leur laboratoire et les risques auxquels ils sont exposés. La troisième est de les sensibiliser à la PPST en travaillant sur la compréhension des différents axes de réflexion et d’orientation dédiés à ce domaine. Et la dernière est de proposer des recommandations concrètes aux responsables de laboratoire, à la Présidente de l’université et à ses conseillers.

En tant que chargé de mission PPST, je travaille en étroite collaboration avec le Fonctionnaire Sécurité Défense (FSD) de Sorbonne Université et son équipe. Le FSD est le représentant du haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité (HFDS) qui dirige le pôle Défense et Sécurité du MESRI. Ce pôle comprend un collège d'experts qui désigne les laboratoires devant passer à la PPST.

Pouvez-vous nous expliquer quels sont les risques de captation étrangère et d'ingérence étrangère dans les activités universitaires ?

P. B. : Différents rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale ainsi que des études issues du ministère de l’Intérieur apportent des informations précises sur ces risques. Les directives du Secrétariat général de la défense et sécurité nationale nous donnent aussi à comprendre les risques auxquels nous sommes exposés en matière de captation technologique et d’ingérence étrangère. Le rapport d’information du Sénat sur « les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences », rendu public en septembre 2021, révèle les capacités d’un État extérieur à diffuser des idées et des manières de pensée qui vont à l’encontre de nos valeurs en construisant un discours et un narratif attractifs. Les sciences humaines et sociales sont particulièrement visées. Le rapport expose aussi le risque de captation des données et des savoir-faire scientifiques sensibles, et les modes d’intrusion dans les laboratoires, avec des exemples concrets en Australie, Canada, Etats-Unis et en Europe.

Synonyme d'espionnage, la captation technologique consiste à relever des innovations, des procédés, des cultures de travail de manière clandestine au profit d'une puissance ou d'un acteur étranger. Concrètement, il s’agit de prendre des photographies de documents sensibles ou confidentiels, recopier des algorithmes, enregistrer de façon illicite des données, etc.

Alors que la captation technologique peut s'inscrire dans un temps très court, l'ingérence étrangère s'inscrit dans un temps long. Elle tend à vouloir influencer nos comportements en allant à l’encontre de nos valeurs démocratiques et universitaires. Cela peut prendre la forme d'orientation idéologique ou politique pour arriver à transformer les esprits sans utiliser la force. La meilleure manière de lutter contre ces formes d'influence qui proviennent de puissances étrangères est de développer l'esprit critique, le dialogue et l’échange, le respect d’autrui, la transparence, la collégialité et la diversité qui sont au cœur de notre culture universitaire.

Comment sécuriser les activités de recherche et de formation tout en maintenant des échanges internationaux ?

P. B. : Depuis la publication de la Circulaire interministérielle en matière de PPST en novembre 2012, le MESRI propose un certain nombre de mesures pour nous aider à nous protéger, à créer une communauté de confiance et à adopter les bonnes pratiques.  

Le groupe de travail que je coordonne a retenu six principes fondamentaux pour réfléchir à une mise en œuvre de la protection tout en assurant la poursuite des activités avec le moins de contraintes possibles.

Le premier est de définir un bon équilibre entre les contraintes imposées par la PPST, qu’elles soient éthiques ou matérielles, et les moyens à engager dont dispose Sorbonne Université. Le deuxième est de faire adhérer la communauté de recherche aux normes et aux bonnes pratiques contre les ingérences et les captations technologiques dans les laboratoires classés PPST. Le troisième consiste à adopter progressivement ces mesures de protection selon un rythme adapté à chaque laboratoire. Le quatrième est de créer un espace de confiance pour que ces mesures soient bien acceptées et bien appliquées. Le cinquième permet de désigner des compétences métiers, lesquelles reposent sur la sûreté des locaux, la protection informatique, la gestion des dossiers administratifs, le management des dossiers de recherche et de coopération internationale. Le dernier principe vise à améliorer la connaissance des risques, des menaces et des vulnérabilités en matière de PPST dans chaque laboratoire afin d’être en mesure d’y faire face.

Pouvez-vous partager quelques exemples d'actions ou de mesures que Sorbonne Université souhaite mettre en place pour renforcer la sécurité de la recherche et de la formation ?

P. B. : Nos recommandations portent sur trois axes majeurs qui sont autant d’orientations fondamentales pour sa mise en œuvre. En termes de gestion administrative, il doit y avoir une parfaite cohérence d'actions et de procédures entre les directeurs et directrices de laboratoire, le Fonctionnaire Sécurité Défense et les services administratifs de Sorbonne Université.

En ce qui concerne la protection informatique, le groupe de travail a proposé une douzaine de bonnes pratiques issues des sources officielles, mais également des conseils de nos experts au sein de Sorbonne Université. Parmi elles, on trouve la question du partage des données, la création d’une plateforme de communication interne à l'ensemble des laboratoires classés PPST, la protection de l'information dans le cadre de déplacement à l'étranger, les capacités techniques de mise en œuvre de la sécurité informatique, l’identification des informations sensibles, etc.

Le dernier axe aborde la gestion et la sécurité des locaux. Il s’agit notamment de privilégier non pas tout l’espace d’un laboratoire, qui peut s’étendre à des dizaines de salles réparties sur des étages différents, mais quelques espaces pertinents à sécuriser.

Comment envisagez-vous d'impliquer la communauté universitaire dans ces efforts de sécurisation ?

P. B. : La mise en œuvre de la PPST dépend de sa bonne compréhension et de l’équilibre à trouver en fonction des activités des chercheurs entre protection et poursuite d’activités avec le moins de contraintes possible. Une première étape passe par la formation et la sensibilisation des communautés de recherche. Les travaux du groupe de travail ont montré que deux niveaux étaient à prendre en compte : celui qui s’applique à l’ensemble des laboratoires classés PPST, et celui qui concerne uniquement le laboratoire en fonction de sa propre identité de recherche et de culture de travail.

Au niveau des normes collectives à l'ensemble des laboratoires classés PPST, nous souhaitons mettre en place une session de formation à destination de tous les publics, du doctorant jusqu’au professeur confirmé. Assurée par un ensemble de formateurs issus de Sorbonne université et d'un réseau extérieur, cette formation porterait sur des cas pratiques en matière de protection (l’usage d’une clé USB, par exemple), sur les risques géopolitiques majeurs (en intelligence économique, par exemple) et sur les outils de protection adaptés aux laboratoires sous la forme d’ateliers.

À ces normes collectives s’ajoutent la proposition de normes individuelles propres à chaque laboratoire, comme l’organisation d’une session de formation sur la protection spécifique aux usages du laboratoire concerné.

Ce travail de sensibilisation vise à impliquer les membres de la communauté, mais aussi à créer un espace de confiance, d'échange, de partage d'informations pour favoriser notre protection. L’objectif n’est pas d'appliquer une réglementation sans réflexion, mais de faire comprendre à chacune et chacun, l'intérêt de se protéger dans un contexte géopolitique toujours plus tendu et incertain.