"C’est de la recherche non-programmée que jaillissent les innovations les plus disruptives et les plus révolutionnaires"
Catherine Jessus, directrice de recherches à l’institut de biologie Paris-Seine (IPBS), dirige l’Initiative i-Bio de l'Alliance Sorbonne Université.
L'Initiative I-Bio expliquée en 2'40
Rencontre avec Catherine Jessus
Son objectif : structurer et promouvoir une recherche pluridisciplinaire en sciences de la vie autour de l’émergence d’un grand centre de biologie fondamentale.
Comment s’est constituée l’initiative i-Bio ?
Lors de discussions sur les évolutions de la recherche en biologie en ce début du XXIe siècle, plusieurs membres de l’IPBS ont pointé la nécessité de développer des approches interdisciplinaires. Une conclusion partagée par le groupe de réflexion stratégique mis en place, en parallèle, par l’unité de formation et de recherche (UFR) des sciences de la vie.
La convergence de ces deux réflexions a abouti, début 2019, à la formation d’un groupe de travail réunissant des spécialistes en biologie, physique, informatique, mathématiques, etc. Pendant près d’un an, ce groupe a élaboré un projet visant à promouvoir des recherches pluridisciplinaires en biologie au sein de l’Alliance Sorbonne Université, qui a donné naissance, début 2020, à l’Initiative i-Bio.
Quel est son objectif ?
Après avoir approuvé le projet, la présidence de Sorbonne Université a souhaité lui ajouter une dimension stratégique : celle de structurer la recherche en sciences de la vie autour de l’émergence d’un grand centre de biologie fondamentale.
L’objectif de i-Bio est donc double. D’une part, promouvoir la recherche en biologie aux interfaces avec les autres disciplines. D’autre part, favoriser la création d’un centre de biologie compétitif, visible et attractif au cœur du campus Pierre et Marie de Sorbonne Université, en s’appuyant sur deux instituts existants : l’IBPS et l’institut du Fer à Moulin, qui ont vocation à fusionner, sur une unité de lieu. Réunissant six unités de recherche, une soixantaine d’équipes et près de 600 personnes, ces deux instituts représentent une masse critique majeure de la recherche en biologie de la faculté des Sciences et Ingénierie.
Quels sont ses enjeux en termes de recherche ?
Avec l’élargissement des milieux explorés, l’augmentation des échelles d’observation, la prise en compte des dynamiques du vivant au cours du temps, l’accès à des ensembles de données gigantesques, les questions posées par les biologistes sont sorties du strict périmètre des sciences de la vie pour alimenter d’autres disciplines et en être irriguées.
Comprendre le vivant nécessite désormais de le modéliser, de le quantifier, de l’imager, de prendre en compte les lois de la physique et de la chimie qui contribuent à son fonctionnement. Cela demande également de le manipuler avec des outils spécifiques de la bio-ingénierie et de la pharmacologie, de s’intéresser à son environnement, ou encore de recourir aux sciences humaines et sociales quand il s’agit d’étudier l’Homme, ses comportements et sa pensée.
Mathématiques, informatique, physique, chimie, ingénierie, géologie, paléontologie, écologie, philosophie, histoire, sociologie, etc. Aucune discipline n’est à l’écart d’une connexion avec l’étude du vivant. L’interdisciplinarité est une composante intrinsèque de la recherche en biologie du XXIe siècle car ce sont aux interfaces entre la biologie et les autres disciplines que naissent nombre d’innovations conceptuelles et technologiques.
Comment se traduit au quotidien cette pluridisciplinarité ?
La seule volonté des scientifiques ne suffit pas à la mise en œuvre d’approches interdisciplinaires. Il est nécessaire que les acteurs et les actrices se connaissent, partagent leurs questionnements, acquièrent les concepts et le vocabulaire propre à chaque discipline. Il faut aussi qu’ils reçoivent des aides supplémentaires pour faire jaillir des projets qui sont généralement à risque et trouvent difficilement des financements.
Pour répondre à ces besoins, i-Bio a mis en place des appels à projets doctoraux et des appels à projets collaboratifs pluridisciplinaires encourageant la prise de risque. Nous allons également accueillir chaque année une équipe de recherche interdisciplinaire et développer des actions d’animation scientifique (journées thématiques, écoles d'été, etc.).
Quels sont les enjeux de i-Bio en termes de formation ?
Le challenge est de pouvoir former des biologistes qui, en parallèle de leur cœur disciplinaire, soient familiarisés aux concepts, vocabulaires et outils d’autres domaines de recherche. L’objectif n’est pas d’en faire des experts d’autres spécialités, mais de leur permettre de dialoguer et mener des projets communs avec des scientifiques d’autres disciplines.
Pour cela, nous avons commencé à développer un programme doctoral international dans lequel nous recruterons chaque année, pendant les quatre années de l’Initiative, des étudiantes et étudiants aux parcours originaux et internationaux. La première promotion 2020 incarne bien ces objectifs. Un budget leur sera alloué pour des missions à l’étranger et la participation à des congrès internationaux.
Parallèlement, nous souhaitons mettre en place une année de « pré-doc ». Cette année permettrait à des étudiantes et étudiants de master sélectionnés pour l’originalité de leur parcours et leur motivation, de tourner dans différentes équipes de recherche offrant des projets interdisciplinaires avant d’entrer en doctorat. Nous avons également le souhait de créer de nouveaux cursus de master interdisciplinaires. Mais ces projets dépendront de l’obtention de fonds supplémentaires.
Quel impact les recherches réalisées au sein de l’Initiative peuvent-elles avoir sur la société ?
La biologie vise à connaître et comprendre le monde du vivant dans lequel nous évoluons, et permet d’enrichir les sciences médicales, environnementales, les biotechnologies. Les recherches que nous développons dans le cadre de i-Bio produisent essentiellement de la connaissance fondamentale. Accumuler cette connaissance et la transmettre, contribue à bâtir une société de gens responsables, conscients et avertis, ce qui est un impact sociétal majeur en soi.
Souvent, la recherche fondamentale débouche sur un champ appliqué. Et c’est d’ailleurs de cette recherche non-programmée, que jaillissent les innovations les plus disruptives et les plus révolutionnaires. Les exemples foisonnent, des outils de la biologie moléculaire, enzymes de restriction et ciseaux Crips-Cas9, à la pénicilline. Nous comptons bien que nos découvertes alimentent ces champs appliqués de la recherche.