Avec le serment des docteurs, renouveler le dialogue entre sciences et société ?
En France, depuis le 1er janvier 2023, à l’image des futurs médecins, les docteurs de toutes disciplines prêtent serment le jour de leur soutenance.
Après la délibération du jury, ils s’engagent à respecter les principes et les exigences de l’intégrité scientifique en prononçant publiquement la phrase suivante :
« En présence de mes pairs, parvenu·e à l’issue de mon doctorat en “discipline”, et ayant ainsi pratiqué, dans ma quête du savoir, l’exercice d’une recherche scientifique exigeante, en cultivant la rigueur intellectuelle, la réflexivité éthique et dans le respect des principes de l’intégrité scientifique, je m’engage, pour ce qui dépendra de moi, dans la suite de ma carrière professionnelle quel qu’en soit le secteur ou le domaine d’activité, à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir, mes méthodes et mes résultats. »
Le serment des docteurs a été ajouté à la Loi pour la recherche, en décembre 2020, par un amendement du sénateur Pierre Ouzoulias et s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures législatives relatives à l’intégrité scientifique, comme la nomination de référents sur ce sujet dans les établissements ou la formation des chercheurs à l’ensemble de ces valeurs et règles qui garantissent l’honnêteté et la rigueur de la recherche.
Comment ce serment est-il perçu par la communauté académique ? Dans quelle mesure sa mise en place symbolise-t-elle une nouvelle étape du dialogue entre science et société ?
Une mesure inscrite dans des débats de société
Si la mise en œuvre systématique d’un serment est récente, l’idée est ancienne et différentes initiatives la préfigurent à travers le monde. La charte de 1948 de la fédération mondiale des travailleurs scientifiques en pose les premiers jalons en définissant des responsabilités du chercheur à l’égard de la science et de l’humanité, dans un contexte de guerre froide et de prolifération des armes nucléaires. Dans les années 1980, après la déclaration de 1974 de l’Unesco sur la condition des chercheurs, l’idée d’un serment portant sur la responsabilité sociale du chercheur émerge.
Le plus marquant est probablement le « serment hippocratique des scientifiques » proposé, par Joseph Rotblat, physicien, cofondateur du Mouvement Pugwash avec lequel il a partagé le prix Nobel de la paix en 1995, pour leurs efforts sur le désarmement nucléaire. Mais d’autres exemples peuvent être cités, le serment d’Archimède, ou encore en France, le « serment du docteur scientifique », proposé par Pierre Lena, adapté de celui de Michel Serres, pour être prononcé par les nouveaux docteurs.
Toutes ces initiatives émanaient du monde scientifique et étaient motivées par des questionnements sur la responsabilité des chercheurs vis-à-vis des usages, en particulier militaires, de leurs travaux. Elles n’ont que très peu été mises en pratique. Le serment mis en place en France s’en démarque dans la mesure où l’initiative est directement venue de la société, à travers la représentation nationale, que tous les nouveaux docteurs devront le prononcer et qu’il ne conserve de ses précurseurs que l’engagement d’intégrité scientifique : les aspects moraux (agir pour le bien de l’humanité, par exemple) n’ont pas été conservés.
Comme en écho au « temps des crises » de Michel Serres, c’est en temps de crise que la Loi pour la recherche a été débattue. Les débats ont eu lieu, pendant la pandémie de Covid-19, au moment où arrivaient les vaccins, l’identification de variants, mais aussi des infox et des polémiques.
La science et ses avancées ont été au cœur de l’actualité et les chercheurs ont été très présents dans les médias. La question de la confiance dans la parole des chercheurs et de la relation entre science et société s’est posée de manière aiguë partout dans le monde, et singulièrement en France. Le temps long de la recherche n’est pas celui des crises. Les incertitudes de la science en train de se faire sont parfois entrées en tension avec les attentes de la société ou des pouvoirs publics.
Il ne faut donc pas s’étonner que l’introduction de ce nouveau serment ait suscité des réactions très contrastées parmi les chercheurs, avec de jeunes docteurs enthousiastes, qui ont prononcé le serment avant même que celui-ci ne soit entré en vigueur, mais aussi avec des oppositions très vives de chercheurs, s’alarmant de l’irruption du politique dans la vie universitaire et y voyant l’expression d’une défiance de la société à leur égard.
Regards de doctorants sur ce nouveau serment
Dans ce contexte particulier, le réseau national des collèges doctoraux a conduit, entre le 16 janvier et le 17 février 2023, une enquête auprès des personnes inscrites en doctorat, en France, en 2022-2023 et auprès de leurs encadrants. Il s’agissait, à l’entrée en vigueur du serment, de faire un état des lieux sur leur niveau d’information à ce sujet, sur leur adhésion à cette nouvelle mesure et sur leur vision de ses fonctions.
Plus de 9 300 doctorants et 5 500 encadrants, de toutes disciplines, y ont répondu. Un tiers d’entre eux a découvert cette nouvelle mesure en répondant à l’enquête. Cette enquête, qui abordait bien d’autres sujets que le serment, a suscité un indéniable intérêt et aura ainsi pu contribuer à faire connaître ce serment.
Elle révèle aussi un niveau d’adhésion très fort à ce nouveau serment. Un peu plus de 73 % des doctorants et 67 % des encadrants qui ont répondu à l’enquête en ont une opinion favorable ou très favorable.
Mais ce niveau d’adhésion est contrasté, sur plusieurs plans. Les femmes y sont plus favorables que les hommes. Selon les disciplines, entre 61 % et 87 % des doctorants y sont favorables. Les disciplines en lien avec la santé humaine (épidémiologie, immunologie, virologie, biologie médicale, etc.) se distinguent par une adhésion plus forte. 82 % des doctorants et 83 % des encadrants sont favorables dans ces disciplines, contre 71 % des doctorants et 63 % des encadrants dans les autres disciplines.
Cet écart s’explique aisément. Dans ces disciplines, le serment des docteurs ne bouscule pas les usages, il les harmonise. Les jeunes médecins, au moment où ils sont admis à exercer la médecine, prononcent le serment d’Hippocrate, les pharmaciens celui de Galien. Sous des formes diverses, les serments des professions de santé promettent en premier lieu de ne pas nuire (“primum non nocere”).
Les doctorants ont aussi été interrogés sur les fonctions que peut remplir le serment. Sans pour autant négliger les autres aspects, les doctorants privilégient une augmentation de l’attention à la question de l’intégrité scientifique au sein de la communauté scientifique (76 %) et l’engagement moral des docteurs à respecter les principes d’intégrité scientifique (69 %).
Les enjeux symboliques de ce serment et sa dimension science-société ne leur ont pas échappé. 69 % d’entre eux estiment que les prestations de serment renforceront la solennité de la soutenance. Mais surtout, 48 % des encadrants, 55 % des doctorants français et 74 % des doctorants étrangers estiment aussi que les prestations de serment devraient contribuer à renforcer la confiance du public dans la parole scientifique. L’enquête montre également que les doctorants les plus impliqués dans la relation science-société ou ceux qui sont les plus satisfaits de leur expérience du doctorat, sont ceux qui sont le plus favorables à ce serment.
Avec plus de 40 % de doctorants étrangers en France, selon les statistiques de CampusFrance, le doctorat est le niveau de diplôme le plus internationalisé. Les nombreuses réponses de doctorants étrangers permettent ainsi de prendre un peu de distance avec le contexte français et avec les débats nationaux sur l’introduction du serment.
Les doctorants étrangers sont nettement plus favorables à ce serment que les étudiants français, avec des taux qui vont de 74 % d’avis favorables pour les étudiants européens jusqu’à 91 % pour les étudiants africains. La majorité d’entre eux estime aussi que le serment des docteurs pourra avoir un effet bénéfique sur l’image de la science française à l’étranger, particulièrement les ressortissants de pays d’Amérique du Nord (59 %), du Proche et Moyen Orient (61 %) ou d’Afrique (63 %).
Ils sont peut-être un peu trop optimistes, mais l’avenir nous le dira, comme il nous dira ce qu’il adviendra de ce serment. Car le texte du serment est le produit de son époque et évoluera certainement à l’épreuve des crises à venir. Celui de Joseph Rotblat était marqué par la guerre froide et par la question des usages militaires de la physique nucléaire. Le serment qui vient d’entrer en vigueur en France est celui d’une société de l’information, saturée d’infox, où l’intégrité dans le rapport au savoir et à la vérité est devenue une question centrale. En cela, ce nouveau serment des docteurs est bien le symbole d’une nouvelle relation entre science et société.
Sylvie Pommier, Vice-Présidente "Doctorat" de l'Université Paris-Saclay, Université Paris-Saclay et Bertrand Granado, professeur et directeur du Collège doctoral de Sorbonne Université, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.