Anticiper les futures épidémies grâce à OBEPINE+
Dans le cadre du plan France 2030, le groupement d’intérêt scientifique (GIS) OBEPINE lance le projet OBEPINE+. Doté d'un financement de 10 millions d'euros sur cinq ans, ce projet, porté par Sorbonne Université, vise à développer une plateforme nationale de recherche et développement en épidémiologie via les eaux usées.
Vincent Maréchal, professeur de virologie et directeur du GIS, nous détaille les objectifs de cette initiative au cœur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses émergentes.
Quelle est l’origine du projet OBEPINE+ ?
Vincent Maréchal : Le réseau OBEPINE est né en mars 2020, au début de la crise de la Covid-19. Nous avons été parmi les premiers à démontrer une corrélation entre les quantités de génomes de SARS-CoV-2 trouvées dans les eaux usées et les données épidémiologiques en population générale. À partir de juillet 2020, nous avons reçu le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) pour développer un projet pilote sur 200 stations d'épuration afin de valider cette approche à une plus grande échelle. Les stations choisies permettaient de suivre environ 40% de la population française, en tenant compte de la diversité des territoires. Ce travail, financé à hauteur de 3 millions d'euros, a démontré la pertinence de l’épidémiologie basée sur les eaux usées et a incité la Commission européenne à recommander son adoption par les États membres.
En juillet 2022, dans le cadre de France 2030 et de la stratégie nationale d’accélération maladies infectieuses émergentes (MIE) et menaces NRBC, le Secrétariat général pour l’investissement et le MESR ont sollicité le GIS OBEPINE pour concevoir une plateforme qui s’intègre dans le dispositif national de prévention et de lutte contre les futures épidémies. Nous avons déposé le projet OBEPINE+ en décembre 2022 et reçu une première évaluation très favorable du jury international mis en place par l'Agence nationale pour la recherche.
Le GIS OBEPINE
Le GIS OBEPINE qui est à l’initiative du projet OBEPINE+ est un consortium de recherche interdisciplinaire réunissant des experts en virologie médicale, biologie moléculaire, génomique, microbiologie, hydrologie et modélisation mathématique. Il a été créé en mars 2020 afin de concevoir un nouveau dispositif de suivi de la COVID-19 à travers l’analyse des eaux usées, une approche appelée épidémiologie basée sur les eaux usées. OBEPINE regroupe 10 membres partenaires (CNRS, Eau de Paris, EPHE, IFREMER, INSERM, IRBA, Sorbonne Université, Université Clermont Auvergne, Université de Lorraine et Université de Paris Cité) et deux membres associés (Institut Pasteur de Guyane et Actalia).
En juin 2024, OBEPINE a remporté le trophée Innovation Team best practices 2024. Organisé par le Club de Paris des directeurs de l'innovation et l’Université Panthéon-Sorbonne, ce prix récompense des équipes qui ont conçu et réalisé des projets d’innovation exemplaires au service des individus et de la société.
Quels sont les acteurs impliqués dans OBEPINE+ et comment vont-ils collaborer ?
V. M. : OBEPINE+ rassemble 22 partenaires du secteur public et privé, dont des instituts de recherche comme le CNRS et l’Inserm, ainsi que des entreprises telles que SUEZ, VEOLIA et IAGE. Nous collaborons étroitement avec des institutions comme Sum’EAU, Santé publique France, et Emergen, qui s'occupe de la surveillance génomique des virus dans les populations humaines. Nous souhaitons également impliquer PREZODE, une structure spécialisée dans les maladies infectieuses provenant du monde animal. En intégrant ces différents acteurs, nous couvrons toutes les dimensions de l’approche "One Health" qui prend en compte les interactions entre la santé humaine, animale et environnementale.
Pour coordonner et optimiser ces efforts, nous allons mettre en place un comité de pilotage chargé de définir les orientations stratégiques et d'assurer une communication entre ces différentes entités.
Propos recueillis par Justine Mathieu
Les équipes partenaires du projet OBEPINE+
Sorbonne Université (porteur du projet), Actalia, ANSES, CEA – CNRGH, CNRS, CHU de Toulouse, CHU de Clermont-Ferrand, Ecole vétérinaire de Toulouse (ENVT), Eau de Paris, IAGE, IFREMER, INSERM, Institut Pasteur de Guyane, INRAE, Institut Pasteur de Nouvelle Calédonie, Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), SAUR, SIAAP, SUEZ, Université Clermont Auvergne, Université de Lorraine, VEOLIA.
Quelles sont les actions concrètes prévues par OBEPINE+ ?
V. M. : Nous allons développer des outils pour détecter des pathogènes considérés comme prioritaires comme les différentes formes de grippes, le virus respiratoire syncytial, les grippes aviaires, le virus de la variole du singe (Monkeypox), ainsi que des virus transmis par les moustiques comme la dengue. Nous allons également mettre en place des projets autour des pathogènes transmis par les rongeurs, comme les hantavirus ou les leptospires, et développer une activité de surveillance des effluents des élevages pour détecter de nouveaux pathogènes à la source. Cette approche est particulièrement pertinente en raison des menaces que font peser les virus des grippes aviaires et leur risque de transmission à l’Homme.
Un autre axe d’OBEPINE+ vise à développer une structure de séquençage afin d’identifier les pathogènes dans les eaux usées. Nous allons également construire une aquathèque. Cette banque pérenne conservera des échantillons de prélèvements d’eaux usées sur le long terme. L’accès à ces échantillons permettra de mener des études rétrospectives afin de mieux comprendre l'émergence de pathogènes et leur propagation sur le territoire.
Nous avons également des projets très novateurs dans le domaine de la surveillance des infections sexuellement transmissibles (IST) à travers les eaux usées. Nous comptons suivre des pathogènes comme les papillomavirus, les chlamydiae, les gonocoques ou l’agent responsable de la syphilis soit à une échelle très locale comme un campus universitaire, soit à une échelle nationale voire internationale. Nous collaborerons, pour ce projet, avec les centres nationaux de référence (CNR) afin de créer un observatoire national de suivi des IST via les eaux usées. Ce suivi global permettrait notamment, sur le long terme, d’évaluer l’impact des campagnes de vaccination contre les papillomavirus oncogènes, qui sont la principale cause des cancers du col.
Quels sont les défis éthiques associés à l’épidémiologie des eaux usées ?
V. M. : L’analyse des eaux usées soulève des questions éthiques et juridiques en ce qu’elle implique une forme de surveillance des populations sans consentement explicite. Nous avons créé un comité d’éthique, avec des sociologues et des philosophes, pour traiter ces problématiques. L’objectif est de garantir que nos recherches respectent les droits et les attentes des citoyens tout en fournissant des outils efficaces pour la santé publique.
Comment envisagez-vous le développement international d’OBEPINE + ?
V. M. : Dans une démarche de transfert de compétences, nous développons des collaborations en Amérique du Sud, territoire d'émergence majeur, et plus précisément avec la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), l’une des principales institutions de science et de technologie dans le domaine de la santé en Amérique latine. En Guyane française, nous essayons de développer un projet de surveillance de la santé des populations amazoniennes en utilisant les eaux usées en plus des données épidémiologiques en population. Ces travaux seront conduits en parallèle avec une surveillance de la circulation des pathogènes dans les faunes sauvages (moustiques, mammifères sauvages etc.).
Nous travaillons également en Afrique, notamment en Tunisie, au Maroc et en Guinée dans le cadre du projet ATLANTES, dont OBEPINE assure le pilotage scientifique. L'idée est de partager notre expertise et nos outils pour aider ces pays à mettre en place des systèmes de surveillance épidémiologique par les eaux usées susceptibles de soutenir les acteurs de santé publique. Dans des pays où les systèmes d'assainissement ne sont pas aussi sophistiqués que les nôtres, nous arrivons déjà à mettre en évidence des circulations de virus, comme celui de la rougeole en Guinée. A ce titre, l’épidémiologie des eaux usées reste un excellent outil d'anticipation des émergences infectieuses avec un rapport bénéfice/coût extrêmement rentable par rapport à un suivi en population.
En Europe, nous travaillons sur un projet avec la Pologne et la République tchèque dans le cadre de l'alliance 4EU+. Son objectif est de renforcer l’utilisation des eaux usées dans les projets de recherche, en intégrant des compétences variées issues de différentes disciplines telles que la sociologie, les sciences médicales et les sciences fondamentales.
Nous organisons également, dans le cadre de l’alliance 4EU+, une conférence internationale qui se tiendra le 12 novembre prochain à Sorbonne Université, avec la participation de l'Organisation mondiale de la Santé, afin de travailler sur l’articulation entre les approches d’épidémiologie des eaux usées et leur intégration pérenne dans les systèmes de surveillance nationaux et trans-nationaux.
Projet SISP&EaU : Surveillance Intégrative en Soins Primaire & des Eaux Usées
Le projet SISP&EaU est l’un des projets pilotés par Sorbonne Université. Porté par la plateforme OBEPINE+ et doté de 2,158 M€, il vise à comparer les données issues des eaux usées avec les indicateurs de santé traditionnels, notamment ceux des centres nationaux de référence et du réseau de médecins généralistes « Sentinelle ». L'objectif est de déterminer si la combinaison entre des dispositifs de suivi populationnels et le suivi des eaux usées permet une meilleure anticipation des vagues épidémiques liés aux virus respiratoires : virus de la grippe, virus respiratoire syncytial (VRS), SARS-CoV-2 et rougeole notamment.
A terme, l’objectif est de créer des outils de surveillance plus efficaces et moins coûteux pour détecter et suivre les épidémies en tirant parti des avancées technologiques. Il s’agira d’associer les tests de dépistage rapide, l'analyse génomique, ainsi que l'utilisation des données des dossiers de santé électroniques et des réseaux sociaux. En rassemblant des experts en microbiologie, génomique, hydrologie, mathématiques, épidémiologie et sciences sociales, le projet espère permettre à la France de mieux se préparer aux futures émergences infectieuses.