Almeida Prado, compositeur cosmique du XXᵉ siècle
Paulo Meirelles, Sorbonne Université
Faune et flore brésiliennes, citations de la Bible, dieux des religions afro-brésiliennes, arts plastiques et paysages naturels… Voilà l’étonnant mélange qui peuple l’imaginaire du compositeur Almeida Prado et ses partitions pour piano. Outre ces références particulièrement surprenantes, le compositeur brésilien est connu pour ses morceaux aux connotations astronomiques. Il a essayé de traduire le cosmos en musique pour piano à travers des œuvres qui explorent les nombreuses possibilités techniques de l’instrument.
Né en 1943 à Santos, ville portuaire dans l’état de São Paulo, José Antonio Rezendede Almeida Prado de son nom complet s’est initié à la musique avec sa sœur Thereza Maria et sa mère Ignez. Cette initiation familiale lui a sans doute valu sa passion pour le piano et pour le répertoire du XIXe siècle. Ses divers hommages à Chopin témoignent de l’influence des compositeurs romantiques sur son œuvre.
Almeida Prado s’est formé auprès de Dinorá de Carvalho – sa professeur de piano de 1953 à 1958 – et Camargo Guarnieri – son professeur de composition de 1960 à 1965. Les compositions de cette période restent dans la continuité de l’œuvre de ses maîtres, en évoquant souvent la culture brésilienne par son folklore et ses rythmes.
Séjour en Europe
En 1969 Almeida Prado gagne le premier prix au concours de composition du premier Festival de Música da Guanabara, ce que lui permet de financer ses études en Europe. Ce séjour commence par un stage d’été à Darmstadt avec György Ligeti et Lukas Foss. Puis Almeida Prado s’installe à Paris pour suivre des cours de composition avec Nadia Boulanger et Olivier Messiaen, deux célèbres maîtres français qui auront influencé toute une génération de compositeurs. Messiaen, qui fait aussi référence au cosmos dans ses compositions comme dans l’œuvre Des canyons aux étoiles, a clairement influencé l’approche d’Almeida Prado quand il évoque la nature en musique.
Lors d’une conférence à l’Académie brésilienne de musique, il raconte son parcours de compositeur et l’évolution de son écriture musicale à cette période de sa vie, ainsi que l’influence du grand compositeur brésilien Villa-Lobos. Après son séjour en Europe, ses évocations de la nature et ses références au folklore brésilien se fondent dans un langage plus universel et moins traditionnel.
« J’ai eu un choc en écoutant les œuvres de Messiaen et quand je suis arrivé à Paris je voulais écrire cette musique, je ne sais pas comment, mais je voulais écrire cette musique. […] Messiaen avait reçu du Brésil mes partitions et il les avait beaucoup appréciés. […] J’ai commencé a composer une œuvre où j’essayais de mélanger toute cette base nationaliste qui respirait déjà un autre air, mais sans nier beaucoup de bonnes choses que j’avais apprises avec Guarnieri, qui consistait à traiter le folklore, savoir comment travailler un thème folklorique. Quand j’ai commencé à me tourner vers l’écologie, la faune et la flore brésiliennes comme source d’inspiration, ce n’était plus le folklore, mais les animaux, les fleurs, les orchidées, l’Amazonie.
C’est là qu’arrive le Villa-Lobos des années 1920, les années les plus fructueuses, la Prole do Bebê n° 2. Comme le disait Messiaen, “Prole 2 est déjà mon Catalogue des oiseaux, c’est le germe”. D’ailleurs, tous les compositeurs de ce siècle ont été influencés par Messiaen, personne n’a échappé à ça, que ce soit sur la conception rythmique, la nouveauté des permutations, toute la beauté des couleurs que l’œuvre de Messiaen contient. Cela m’a donné un amalgame, un mélange éclectique. Je ne voulais absolument pas cesser d’avoir ce mélange éclectique, je voulais être un compositeur multiple. »
À son arrivée à Darmstadt, Almeida Prado commence à écrire sa Sonata pour piano n° 2 qu’il termine à Paris. C’est une œuvre pleine de difficultés techniques qui contient plusieurs annotations très emblématiques de son œuvre, autour de la thématique de la lumière, que le compositeur transformera plus tard en thématique astronomique.
Partitions annotées
L’emploi de mentions verbales est récurrent dans toute l’œuvre d’Almeida Prado ; Ces annotations souvent poétiques ne se rattachent pas toujours à la thématique astronomique. Ces indications de jeu au sein de la partition sont très nombreuses dans son œuvre et évoquent des contenus extra-musicaux complètement différents : “comme une matinée lavée après la pluie” dans les Momentos, « comme le chant du vent du désert » ou même « érotique » dans Poesiludios et peuvent contenir des citations de la Bible comme dans les 3 Profecias em forma de estudos.
Almeida Prado n’est pas le premier compositeur à utiliser ce genre de notation : cette pratique témoigne de l’héritage français que porte son œuvre. On trouve de nombreuses annotations du même type dans les partitions de Debussy et de Satie. Ces informations intègrent l’écriture musicale et ouvrent tout un éventail de possibilités d’interprétations différentes, par leurs contenus souvent très subjectifs et imagés.
Musique et astronomie
Les premières œuvres « astronomiques » datent de 1974, quand la mairie de São Paulo commande à Almeida Prado une œuvre musicale pour servir de fond sonore lors d’événements au Planétarium Municipal de l’Ibirapuera. Juste après les premiers pas de l’homme sur la lune, la fascination pour l’espace concerne aussi les compositeurs. Messiaen écrit Des canons aux étoiles lors d’un voyage aux États-Unis entre 1971 et 1974. Almeida Prado écrit le premier volume des Cartas Celestes pour piano, une composition fondée sur la vue du ciel depuis le Brésil en août et septembre. Dans sa thèse de doctorat à l’Université de Campinas le compositeur raconte son processus de composition avec son langage poétique habituel.
“La lumière est vibration. Le son est vibration. J’avais besoin de tenter l’absurdité de l’impossible, mettre en musique le chant des foyers célestes, le ciel que l’homme a toujours désiré comme objet de ses transcendances, la possibilité de matérialiser en son l’inatteignable.
J’ai parcouru l’« Atlas céleste » de Ronaldo Mourao, notre génial astronome-poète, qui a essayé de donner à l’amateur en astronomie la possibilité d’acquérir a sa manière, le scénario pour parcourir le ciel, en cherchant la joie de trouver les constellations.
Dans le discours musical, j’essaierais la même chose. »
Almeida Prado crée des accords qui correspondent aux 24 lettres de l’alphabet grec qui représenteront plus tard les étoiles dans son discours musical. Il s’appuie sur l’Atlas celeste de l’astronome brésilien Ronaldo Mourão pour les références au cosmos. Pour chaque constellation, le compositeur travaille avec les accords attribués aux lettres de l’alphabet grec.
Même si les galaxies et leurs étoiles sont le fil conducteur des Cartas Celestes, Almeida Prado décrit musicalement d’autres corps célestes comme les planètes de notre système solaire, des satellites naturels et même les trous noirs. Dans le mouvement « Buraco Negro » (Trou noir) des Cartas Celestes volume 4, le compositeur attribue à un si bémol le rôle de centre gravitationnel qui attire toutes les autres notes vers le centre du piano à toute vitesse.
On retrouve ces allusions au cosmos dans The Planets, œuvre symphonique de Gustav Holst emblématique par les relations entre musique et astronomie. La description musicale de la planète Mars coïncide chez les deux compositeurs avec une ambiance dramatique et même agressive, qui correspond à la façon dont la planète rouge est décrite par les astronomes.
Dans le mouvement « Cruzeiro do Sul » (Croix du Sud) du volume 5 des Cartas Celestes le compositeur ajoute aux accords correspondants aux étoiles de la constellation l’hymne grégorien qui est chanté en adoration à la croix le Vendredi saint, selon les traditions catholiques. La foi religieuse du compositeur est également évidente sur d’autres œuvres pour piano comme le Rosário de Medjugorge dont la forme musicale est basée sur la forme d’un chapelet.
Almeida Prado s’est éteint en 2010 à São Paulo à l’âge de 67 ans et nous a laissé 718 œuvres dont 373 œuvres pour piano solo d’après le catalogue de l’Académie brésilienne de musique. Il aura incarné le personnage romantique du pianiste-compositeur, tout en créant des œuvres qui s’intègrent parfaitement dans le courant artistique de son époque. Au-delà d’une simple évocation du cosmos, ses œuvres reflètent ses questionnements sur le sens de la vie.
« Dans l’œuvre que j’ai composée, c’est le son qui commence et qui termine, créant une illusion de l’éternel, dans la finitude d’une œuvre périssable. Le sans-temps du Cosmos.
Tout est possible dans un moment de rêve, de fantaisie, de folie.
Le transcendantal devient accessible, le Cosmos, une possibilité qui se tient dans la paume d’une main.
L’infiniment grand et l’infiniment petit ne connaissent pas de frontières.
Donc, j’ai pu oser. Sans pudeur. Sans peur.
Et ainsi, j’ai créé des illusions sonores capables de réveiller dans l’écoute des émotions d’un voyage cosmique sans frontières. »
Paulo Meirelles, Doctorant en musique et musicologie, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.