Laura Scalfi

Laura Scalfi

Docteure en chimie lauréate du Prix L’Oréal-Unesco pour les Femmes et la Science 2021

Ce prix confère une espèce de responsabilité envers les jeunes générations

À 27 ans, la physico-chimiste franco-italienne fraichement diplômée de Sorbonne Université se voit distinguée par la prestigieuse fondation pour ses travaux sur la métallicité et les interfaces entre électrolytes et électrodes. Ses résultats permettent de mieux comprendre les processus électrochimiques qui interviennent notamment dans les condensateurs.

Quelles recherches faites-vous au quotidien ?

Je fais de la physico-chimie théorique et computationnelle, c’est-à-dire que j’utilise des ordinateurs et des supercalculateurs pour modéliser et simuler des systèmes physico-chimiques. Pendant ma thèse, j’étudiais l’influence de la métallicité des électrodes sur les propriétés des électrolytes1. La métallicité, c’est le caractère métallique d’un matériau – d’isolant à conducteur parfait –, qui est intimement lié au transport d’électrons, donc d’électricité. Cela se manifeste notamment dans la réponse du matériau quand on approche une charge, un ion par exemple. Je m’appuyais sur des expériences qui semblaient montrer que lorsque la métallicité d’un matériau change, les propriétés à l’interface de l’électrolyte et du matériau changent elles aussi.

En pratique, je lançais des simulations pour étudier les tout premiers nanomètres entre le matériau et le fluide, où de nombreux phénomènes qui régissent le fonctionnement des dispositifs de stockage de l’énergie se produisent. Le résultat est une succession d’images séparées d’une femtoseconde2 formant un film qui prend parfois plusieurs jours à réaliser, la puissance de calcul des ordinateurs nous limitant en termes de durée et de taille.

Pour répondre à certaines questions, en plus de simples simulations où je décrivais le monde tel qu’il est, j’ajoutais des contraintes à mon système pour l’explorer davantage. Un peu comme si je pouvais changer les règles de la nature, mais pour étudier l’influence de la métallicité, observer des transitions solide-liquide ou, dans un autre contexte, le repliement de protéines, il faut donner un coup de pouce à la simulation.

Quelles en sont les applications ?

Les laboratoires dans lesquels j’ai travaillé font plutôt de la théorie et de la modélisation pour développer de nouvelles méthodes et aider d’autres laboratoires, expérimentaux, à interpréter leurs résultats et en extraire de nouvelles connaissances. J’ai, par exemple, participé à améliorer le calcul de la capacité d’un condensateur ainsi que le modèle utilisé pour l’électrode pour mieux en prédire les performances à l’échelle nanométrique, avec des applications dans le domaine du stockage de l’énergie.
Une retombée directe de ces travaux est d’appliquer ces méthodes à des systèmes concrets. Le laboratoire dont je dépendais3 collabore d’ailleurs avec des équipes qui imaginent les batteries et les super-condensateurs de demain.
Ces travaux m’ont aussi permis de faire parler mon côté « geek » en participant au développement du code MetalWalls4.

Que représente le prix L’Oréal-Unesco pour vous ?

C’est une reconnaissance énorme, un honneur mais aussi un tremplin pour ma carrière. Il a cela de particulier que ce n’est pas juste un prix mais une attente pour le futur. Pendant la cérémonie, on nous a rappelé le slogan du programme : « Parce que le monde a besoin de science et la science a besoin des femmes ». Nous sommes maintenant des ambassadrices de cette cause, des figures d’exemple pour les jeunes filles. Ça confère une espèce de responsabilité envers les jeunes générations.

Dans cette idée, en décembre 2020, j’ai pu parler aux élèves de mon lycée à Milan, dans le cadre de leur cours d’orientation professionnelle, de mon parcours, de ce qu’est la recherche parce que c’est un monde qu’on connaît mal à leur âge et qu’on découvre beaucoup plus tard alors qu’on a presque déjà choisi sa voie. Sur le même modèle, j’ai participé à Déclic 20205, dans un lycée ici, en France. Ce sont des occasions, pour les lycéens, de poser des questions pour avoir des informations sur les études supérieures, la thèse et après. C’est important pour bien s’orienter ensuite. Moi, je l’ai fait. On a l’impression de déranger mais les scientifiques répondent volontiers.

Et la suite, comment la voyez-vous ?

J’ai décidé de tout donner pour atteindre une première étape, celle de chargée de recherches au CNRS. J’espère y parvenir d’ici cinq ans même si je sais qu’obtenir un poste, en ce moment, c’est compliqué. C’est ce qui m’a amenée en Allemagne pour un stage post-doctoral. Ensuite, j’aimerais beaucoup participer à des collaborations, nationales ou internationales, sur le thème de la modélisation. De fait, je ne m’autorise pas vraiment à imaginer ce qui se passera au-delà. Mais j’adore mon travail et ce prix me conforte dans mon choix de carrière.

Crédits photo : Jean-Charles Caslot

Laura Scalfi en quelques dates

1994 : Naissance à Milan
1999-2012 : Scolarité et baccalauréat au Lycée français Stendhal de Milan
2012 : Classes préparatoires PCSI-PC au Lycée du parc, à Lyon
2014 : Intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris
2015 : Stage à l’University College de Londres
2016 : Stage à Chimie ParisTech
2017 : Stage à l’Université de Californie à Berkeley
2018 : Thèse au laboratoire Phénix2 de Sorbonne Université, à Paris
2021 : Docteure en chimie, stage post-doctoral à l’Université libre de Berlin

1Liquide qui contient des ions
210-15 secondes
3Physicochimie des Électrolytes et Nanosystèmes interfaciaux (UMR 8234 - Sorbonne Université, CNRS)
4Code de simulation de la dynamique moléculaire dans les batteries et les super-conducteurs qui a reçu le Prix Spécial Joseph Fourier en juillet 2021.
5Déclic