L’océan Austral au cœur du changement climatique
Océanographe au laboratoire LOCEAN, Jean-Baptiste Sallée a lancé en 2019 le projet SO-CHIC. Son objectif : observer et modéliser l’océan Austral pour mieux anticiper le changement climatique. Il nous fait part des nouvelles avancées du projet.
90% de l’excès de la chaleur accumulée sur la Terre se retrouve dans les océans du globe. « Ce que l'on vit tous les jours comme des changements majeurs dans l’atmosphère ne représente en réalité qu’1% du changement climatique », souligne l’océanographe, Jean-Baptiste Sallée. Pour comprendre l'ampleur de ce réchauffement, il faut aller sous la surface de l'océan et en particulier de l’océan Austral. C’est l’objectif du projet SO-CHIC.
Initié en 2019 par le laboratoire d’océanographie et du climat de Sorbonne Université, le projet SO-CHIC (Southern Ocean Carbon and Heat Impact on Climate) réunit 16 partenaires institutionnels internationaux et une cinquantaine de spécialistes en physique, océanographie, climatologie et biogéochimie. Financé à hauteur de huit millions d’euros pour une durée de cinq ans par la Commission Européenne, il a pour ambition de comprendre les processus qui contrôlent les échanges entre l’atmosphère, l’océan et la glace de mer au niveau de l’océan Austral afin de contribuer à réduire les incertitudes liées aux prévisions du changement climatique.
Le cœur des océans
Seuls quelques rares endroits sur Terre permettent de connecter la surface de l’océan et les abysses, rendant ainsi possible l’absorption en profondeur de la chaleur et du carbone de l’atmosphère. « C’est dans l'océan Austral que ce phénomène est le plus efficace en raison des processus physiques et biogéochimiques qui s’y déroulent et qui sont liés aux conditions climatiques extrêmes de cette région du globe », explique Jean-Baptiste Sallée.
Véritable éponge, l'océan Austral absorbe les trois quarts de la chaleur et du carbone de l’atmosphère captés par l’ensemble des océans pour les enfouir dans les fonds océaniques. C’est aussi l’un des océans qui se réchauffe le plus rapidement sur Terre. Ses eaux, plus chaudes, s'acidifient et perdent leur oxygène. Et parce qu’ils ont lieu à proximité de la calotte polaire Antarctique, ces changements ont un impact très fort sur le niveau des mers global. « Une toute petite modification de l’efficacité de cette éponge a des conséquences majeures sur le réchauffement atmosphérique », insiste l’océanographe. La question est donc de savoir combien de temps encore l'océan Austral va pouvoir jouer ce rôle de régulateur du climat mondial de manière aussi efficace qu’aujourd’hui.
Un changement climatique qui s’accélère
Pour comprendre à quel point cet océan est en train de changer, les scientifiques ont exploité les données recueillies depuis 25 ans par l'Astrolabe, un brise-glace qui navigue entre l'Australie et l'Antarctique pour ravitailler les bases françaises. « Nous avons montré que les changements de température étaient très importants comparés à la variabilité naturelle de l’océan Austral, notamment ceux, plus fondamentaux, qui ont lieu en profondeur », précise le chercheur.
L’une des prochaines étapes du projet est de déterminer si cette énorme quantité de chaleur qui croisse dans les profondeurs océaniques australes va s’infiltrer dans les plateaux continentaux antarctiques et entrer en contact avec la calotte polaire. « Cela constitue l’une des principales incertitudes sur le niveau futur des mers. Nous pensons que cela risque d’être le cas, mais nous ne pouvons pas encore le quantifier », alerte Jean-Baptiste Sallée.
… en raison d’une moins bonne absorption océanique de la chaleur et du carbone
En analysant l'ensemble des données physiques des océans du globe sur les cinquante dernières années, les scientifiques du projet SO-CHIC ont de bonnes raisons de penser que le changement climatique va rendre plus difficile encore l’absorption du carbone et de la chaleur par l’océan. « On voit très clairement qu’au niveau global, l'océan est en train de se découpler entre la couche de surface et les abysses. Cela est dû au fait que la température et la densité de la surface de l'océan changent beaucoup plus rapidement que dans les profondeurs. C'est exactement comme si on ajoutait une couche d'huile sur de l'eau, le mélange entre les différentes couches de l’océan se fait moins bien. » Et l’équipe a montré, dans un article publié dans Nature en 2021, que ce phénomène de découplage entre la surface et les profondeurs avait lieu sept fois plus vite que ce que les modèles existants laissaient penser.
Décembre 2021 : la première campagne d’observation SO-CHIC
L’équipe s’intéresse également aux changements plus abrupts qui ont lieu dans l’océan, comme la mise en place d’une cheminée entre les abysses et l'atmosphère. Ce phénomène, relativement rare, relâche une énorme quantité de chaleur, créant des trous dans la banquise de la taille de la moitié de la France. Pour comprendre ces processus, les scientifiques vont partir en décembre installer des instruments sur une montagne sous-marine. « Nous allons déployer des instruments autonomes, adaptés à des conditions extrêmes et pilotés à distance, et les laisser pendant un an sous la banquise australe », explique l’océanographe.
Pour préparer cette première campagne d’observation dédiée au projet, les chercheurs s’appuient sur un travail de modélisation. « Nous avons créé un modèle haute résolution de la zone pour représenter ces processus de petite échelle qui ne sont pas représentés dans les modèles climatiques actuels, précise Jean-Baptiste Sallée. Grâce à cette représentation numérique, nous pouvons faire des expériences virtuelles et savoir précisément quel est le type d'échantillonnage dont nous avons besoin, quels instruments utiliser, où les déployer, comment les piloter, etc. »
D'autres campagnes dirigées par des partenaires internationaux, comme celle menée l’an dernier par l’Institut polaire allemand, contribuent également à récolter de précieuses observations qui sont utilisées dans le projet.
Des travaux valorisés par le GIEC et la COP26
Les recherches de SO-CHIC alimentent directement les rapports du GIEC, ce groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat auquel Jean-Baptiste Sallée appartient et qui est au cœur des négociations internationales sur le climat. « Nos travaux sont notamment cités dans la sixième évaluation du rapport publiée en 2021 », indique le chercheur. L’équipe du projet participera également cette année à la COP26 lors d’un évènement sur les changements climatiques polaires qui aura lieu sur le pavillon de la Commission européenne à Glasgow.