L’IA au service de la lutte contre les cancers du sein
Véritable enjeu de santé publique, le cancer du sein touche aujourd’hui près de 60 000 femmes en France.
Si son taux de guérison est relativement bon avec 87% de survie, c’est aussi parce que beaucoup de ces cancers sont dépistés tôt grâce notamment aux campagnes de dépistage organisé. Pour améliorer encore l’efficacité de ces campagnes et passer, d’ici quelques années, à un dépistage personnalisé, les radiologues se sont intéressés aux apports de l’intelligence artificielle (IA). C’est le cas d’Isabelle Thomassin-Naggara, professeur Sorbonne Université au service de radiologie de l’hôpital Tenon. Elle développe, en collaboration avec l'Institut des sciences du calcul et des données (ISCD)1 , des algorithmes pour mieux détecter les cancers du sein et tenter de prédire leur survenue.
« En France, les femmes ont la chance de pouvoir bénéficier, entre 50 et 74 ans, d’un dépistage organisé de très grande qualité, explique Isabelle Thomassin-Naggara. Elles peuvent rencontrer tous les deux ans, deux radiologues d’expertise différente et avoir une double lecture de leur mammographie ».
Pourtant, sur les 5 millions de femmes qui peuvent en bénéficier en France, seuls 50% se font dépister dans ce cadre. Même si de nombreuses publications ont montré que les campagnes de dépistage permettaient de réduire de 20% le risque de mortalité, des peurs subsistent : celle du surdiagnostic, des rayonnements ionisants, mais aussi de la douleur liée à la compression du sein.
Des examens de dépistage plus performants grâce à l’IA
Avec l’IA, chercheurs et médecins espèrent optimiser la qualité des mammographies et donc améliorer les conditions de réalisation de cet examen.
« Des algorithmes sont actuellement en cours de développement pour indiquer aux manipulateurs si la position, la force de compression et la dose de rayonnement sont optimales pour chaque patiente, indique Isabelle Thomassin-Naggara. Ils permettront ainsi d’obtenir les meilleurs clichés avec le minimum d’inconfort et d’irradiation ».
L’intelligence artificielle aide également à réduire le nombre d’examens nécessaires. Des algorithmes permettent, par exemple, de reconstruire une mammographie synthétique à partir des données issues d’une technique d’imagerie appelée la tomosynthèse.
« Grâce à cette mammographie synthétique associée aux acquisitions de tomosynthèse, nous obtenons des images plus faciles à interpréter, améliorons la détection des cancers et diminuons le risque de faux positifs par rapport à la mammographie sans doubler la dose de rayonnement », précise la radiologue.
Isabelle Thomassin-NaggaraDes algorithmes sont actuellement en cours de développement pour indiquer aux manipulateurs si la position, la force de compression et la dose de rayonnement sont optimales pour chaque patiente.
Enfin, pour Isabelle Thomassin-Naggara, l’une des solutions pour améliorer encore les campagnes de dépistage est de les faire évoluer vers un dépistage personnalisé. Afin d’adapter le rythme et les techniques de surveillance en fonction de chaque patiente, médecins et chercheurs ont besoin d’un modèle d’intelligence artificielle solide, entraîné sur de larges bases de données et validé sur de nombreuses patientes, pour calculer le risque de survenue d’un cancer. C’est ce à quoi s’emploie la radiologue à travers le projet EZ Mammo.
EZ Mammo, un projet d’IA pour détecter les cancers du sein et calculer le risque de leur survenue
« En collaboration avec l’AP-HP2 et les équipes de recherche de l’ISCD, nous avons proposé un projet de recherche en IA intitulé EZ mammo (ou « Easy » Mammo), explique Isabelle Thomassin-Naggara. Il a pour objectif de développer une base de données afin de valider des algorithmes de détection des cancers du sein et d’évaluation de la densité mammaire, un facteur de risque de ce cancer. »
En combinant la densité mammaire aux autres facteurs de risque (antécédents familiaux, antécédents de biopsie, etc.), Isabelle Thomassin-Naggara et ses collègues de l’ISCD souhaitent valider un modèle d’IA capable de calculer, pour chaque femme, le risque de développer un cancer. En évaluant ce risque, les radiologues espèrent à terme passer d’un dépistage organisé identique pour toutes, à un dépistage personnalisé :
« Nous pourrions varier la fréquence des mammographies et adapter les techniques de dépistage en fonction de chaque patiente », souligne Isabelle Thomassin-Naggara.
Pour développer son projet, la radiologue a obtenu l’une des premières autorisations pour utiliser les informations de l’Entrepôt des données de santé de l’AP-HP. Cet entrepôt regroupe des données cliniques, biologiques et d’imagerie provenant de l’ensemble de ses 39 sites hospitaliers. Il dispose actuellement de 150 000 mammographies, une base importante qui nécessite encore d’être enrichie, structurée et annotée.
Isabelle Thomassin-NaggaraNous pourrions varier la fréquence des mammographies et adapter les techniques de dépistage en fonction de chaque patiente.
Pour développer son projet, la radiologue a obtenu l’une des premières autorisations pour utiliser les informations de l’Entrepôt des données de santé de l’AP-HP. Cet entrepôt regroupe des données cliniques, biologiques et d’imagerie provenant de l’ensemble de ses 39 sites hospitaliers. Il dispose actuellement de 150 000 mammographies, une base importante qui nécessite encore d’être enrichie, structurée et annotée.
Au sein de ce projet, ingénieurs spécialistes en IA et médecins radiologues travaillent en étroite collaboration pour transformer en or ce métal brut que sont les « data ». Pour cela, ils créent des connections automatiques entre les éléments du compte-rendu médical et ceux de la mammographie auxquels ils se référent. Une fois ces liens tissés sur des milliers de cas, les logiciels d’aide au diagnostic pourront s’entraîner à reconnaître les tumeurs sur une mammographie, mais aussi, difficulté supplémentaire, ce qui n’est pas un cancer.
Ce projet bénéficie de l’appui du nouveau centre d’intelligence artificielle de Sorbonne Université, SCAI, qui offre un accès privilégié aux données et facilite les interactions entre l’AP-HP, l’université et les industriels. Un partenariat avec une start-up française est ainsi en cours de finalisation avec les équipes médicales et de recherche dans le cadre du projet EZ Mammo.
Vers une intelligence augmentée au service des cliniciens
De nombreuses études ont montré que, si certains algorithmes arrivent à mieux détecter les cancers que la moyenne des radiologues, ils ne réussissent pas encore à dépasser les performances des radiologues les plus experts.
« Combiné à l’œil humain, ajoute Isabelle Thomassin-Naggara, l’IA permet d’améliorer significativement la performance des radiologues. L’œil perçoit des choses simples que l’algorithme ne voit pas forcément et l’algorithme trouve dans le détail des images de nouveaux indices que l’œil ne peut pas détecter seul. C’est pourquoi l’on parle d’intelligence augmentée plutôt que d’intelligence artificielle. »
Selon la chercheuse, l’IA offrirait des outils interactifs d’aide à la décision. En plus du calcul de risque, le logiciel pourrait par exemple alerter les radiologues en leur indiquant les examens sur lesquels focaliser leur attention ou les endroits de la mammographie où être particulièrement vigilants.
Afin de sensibiliser les jeunes radiologues aux apports de l’IA dans la détection des cancers du sein, le Professeur Thomassin-Naggara a mis en place des formations au sein du CERF3. Il est en effet essentiel, selon elle, que les médecins aient conscience de la façon dont les algorithmes ont été développés et validés pour mieux connaître leurs forces et leurs limites.
« L’IA est une rupture qui peut changer notre quotidien d’un point de vue diagnostique et organisationnel, affirme Isabelle Thomassin-Naggara. Mais nous aurons toujours besoin de l’humain. D’abord pour valider ce que dit la machine au départ, mais aussi pour expliquer les résultats aux patientes et les accompagner dans leur parcours de soin. »
La chercheuse espère enfin que l’IA permettra de mettre en place des campagnes de dépistage ciblées pour inciter plus de femmes à faire cette démarche. Car en détectant précocement des cancers de petite taille, le pronostic pour la patiente est meilleur et les chances de guérison bien plus grandes.
Isabelle Thomassin-NaggaraL’IA est une rupture qui peut changer notre quotidien d’un point de vue diagnostique et organisationnel. Mais nous aurons toujours besoin de l’humain. D’abord pour valider ce que dit la machine au départ, mais aussi pour expliquer les résultats aux patientes et les accompagner dans leur parcours de soin.
1 L'Institut des sciences du calcul et des données (Sorbonne Université, CNRS)
2 Assistance publique - Hôpitaux de Paris
3 Collège des Enseignants de Radiologie de France