Les facteurs de risques cardiovasculaires
Une découverte révolutionnaire… Et récente !
Martine Glorian, Sorbonne Université
Le 29 septembre est la Journée mondiale du cœur, l'occasion de faire le point sur les maladies cardiovasculaires. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elles sont la première cause de mortalité dans le monde. Chaque année, ces pathologies font 17,7 millions de morts, ce qui représente 31 % de la mortalité mondiale totale. Parmi ces décès, on estime que 7,4 millions sont dus à une cardiopathie coronarienne et 6,7 millions à un accident vasculaire cérébral.
La cardiopathie coronarienne désigne un dysfonctionnement du cœur provoqué par le rétrécissement ou l’obturation des artères qui le nourrissent (les artères coronaires, qui dessinent une couronne autour du muscle cardiaque). De la même façon, l’accident vasculaire cérébral, qui se traduit par une perturbation soudaine du fonctionnement du cerveau, résulte de l’atteinte des artères qui irriguent ce dernier.
D’après la Fédération française de cardiologie, dans notre pays 400 personnes meurent chaque jour de ces maladies. Et contrairement à une idée reçue, les maladies cardiovasculaires ne sont pas seulement des maladies d’hommes : plus de la moitié de ces décès concerne des femmes. Par ailleurs, au-delà des décès, ces maladies meurtrières sont aussi responsables de situations d’invalidité et de diminution de la qualité de vie qui affectent en France 2,2 millions de patients.
Longtemps, les maladies cardiovasculaires ont été considérées comme d’inéluctables conséquences du vieillissement. La situation a changé dans les années 1960, avec l’identification des premiers facteurs de risque, point de départ d’une révolution en matière de prévention. Retour sur l’histoire d’une découverte méconnue, qui a permis de sauver des millions de vies.
Les États-Unis, un pays pionnier
Dans les années 40, ces maladies qui sévissent dans les pays développés sont considérées comme des fatalités liées à l’âge que rien ne peut enrayer. Pourtant, en 1948 les États-Unis ont eu une démarche très avant-gardiste en lançant l’étude de Framingham, du nom d’une petite ville du Massachusetts où vivait la cohorte d’individus impliqués dans ces travaux.
Le but de cette recherche était d’identifier des facteurs responsables des maladies cardiovasculaires, en suivant l’évolution de la santé de plusieurs milliers d’habitants de Framingham, sur plusieurs décennies. Pour cela, les scientifiques ont comparé les taux d’incidence, c’est-à-dire de nouveaux cas, chez des sujets exposés et des sujets non exposés à certains facteurs pressentis pour jouer un rôle étiologique (causal) dans la maladie.
L’étude de Framingham, qui en est aujourd’hui à sa troisième génération, est typiquement ce que l’on appelle une étude d'« épidémiologie étiologique », discipline scientifique dont l’objet est l’étude des problèmes de santé dans une population et la recherche de leurs causes (« épidémio » dérivant des termes grec epi et demos, qui signifient respectivement au dessus/parmi et peuple).
Dès 1948, 5 209 habitants de Framingham se prêtent au jeu. Ils remplissent des questionnaires, se soumettent à des prélèvements sanguins, voient leur santé cardiovasculaire scrutée… Grâce à eux, la confirmation que des facteurs fortement suspectés pour jouer un rôle dans les maladies cardiovasculaires émerge progressivement.
Sont successivement pointés du doigt l’hypertension artérielle (1957), l’hypercholestérolémie (taux élevé de LDL - Low Density Lipoproteins) (1977), le tabac (1985, plebiscité à l’époque par les médecins !), le diabète (1974) et le fait d’être de sexe masculin (1985).
Émergence de la notion de facteur de risque
Un facteur de risque est un facteur dont la présence ou l’augmentation majore statistiquement la survenue d’une maladie. Cette notion est proposée pour la première fois en 1961. La pratique médicale s’en trouve alors bouleversée : elle passe du traitement curatif au traitement préventif. Dans ce nouveau contexte, les médicaments anti-hypertenseurs sont les premiers à montrer un effet bénéfique sur l’incidence des maladies cardiovasculaires.
La relation causale indiscutable entre les facteurs identifiés par l’étude de Framingham et la survenue de maladies cardiovasculaires est aujourd’hui largement démontrée par d’innombrables autres études épidémiologiques menées à travers le monde (dont la célèbre étude MONICA, qui a impliqué pas moins de 10 millions de personnes à travers 21 pays entre les années 1980 et 1990).
Ces résultats ont aussi, et surtout, été confirmés par des données issues de travaux de laboratoires sur des modèles cellulaires ou des organes, qui ont permis d’élucider les mécanismes selon lesquels ces facteurs agissent. Ces études sont indispensables à l’établissement d’une relation causale entre un facteur et une maladie, les études épidémiologiques permettant quant à elle, la plupart du temps, d’avoir des présomptions et donc de suggérer des pistes d’investigation.
Des facteurs qui se potentialisent
Depuis, des experts scientifiques du monde entier analysent et évaluent méticuleusement les articles publiés dans ce domaine de recherche afin de traquer les facteurs de risque cardiovasculaire. Les principaux identifiés jusqu’à présent sont : le diabète, l’âge, des prédispositions génétiques, le sexe masculin, une alimentation riche en graisses saturées (graisses animales) et pauvre en fruits et légumes, l’inactivité physique et l’obésité.
D’autres facteurs de risque existent comme le stress et le statut socio-économique, les personnes les plus défavorisées étant plus exposées au tabac et à la « malbouffe » que les autres. Le pays de résidence joue également un rôle : les maladies cardiovasculaires sont en croissance rapide dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, car il n’y existe aucun programme intégré de soins de santé primaires pour la détection et le traitement des individus à risque, contrairement aux pays à revenus élevés.
Par ailleurs, tous les facteurs de risque ne sont pas encore connus, les chercheurs continuent à en identifier. On a récemment découvert par exemple que plusieurs molécules impliquées dans l’inflammation pouvaient jouer un rôle dans les maladies cardiovasculaires.
Il faut également souligner que, bien que les femmes soient protégées par leurs œstrogènes, un nombre croissant d’entre elles est touché, en France, par les maladies cardiovasculaires, en particulier lorsqu’elles sont jeunes, en raison de mauvaises habitudes de vie.
Enfin, il faut savoir que les facteurs de risque ne s’additionnent pas, ils se potentialisent. Par exemple, une hypertension artérielle modérée, une petite intolérance au sucre et un cholestérol moyennement haut constituent, ensemble, un risque beaucoup plus élevé qu’une cholestérolémie très élevée mais isolée.
Toutefois, réjouissons-nous : la majorité de ces facteurs sont environnementaux et donc modifiables ! D’ici à 2025, la fédération mondiale du cœur espère d’ailleurs réduire d’au moins moins 25 % les décès liés aux maladies cardiovasculaires en sensibilisant les populations à ces facteurs de risque.
L’autre bonne nouvelle, c’est que même si des facteurs génétiques entrent en ligne de compte, il semblerait que l’adoption d’un mode de vie sain par des personnes génétiquement prédisposées puisse réduire de moitié leurs risques d’infarctus. Passons donc aux préconisations !
Suivre les préconisations des autorités sanitaires
Pour inciter les populations à adopter une hygiène de vie limitant les facteurs de risques cardiovasculaires, de larges campagnes d’information, soutenues par une forte volonté politique, sont régulièrement lancées. C’est ce que l’on appelle la prévention primordiale.
Reprenons ici les recommandations de l’association française de cardiologie Île-de-France :
-
Pratiquer une activité physique régulière : l’idéal est de consacrer 30 minutes par jour à la marche rapide/course à pied, au vélo, à la natation, à la musculation ou au stretching.
-
Avoir une alimentation saine : diminuer la consommation de sodas et de sucreries, d’alcool, de viandes grasses (agneau, porc…), de charcuterie, de sel, de beurre, de fromages, de crème et dérivés (pâtisseries, glaces…) et de favoriser la consommation de féculents, légumineuses, céréales, pain, huile d’olive/colza, poisson, viande blanche, fruits et légumes. Rien ne sert de bouleverser complètement ses habitudes, manger doit rester un plaisir et un moment de partage. Il convient surtout d’enrichir chaque jour nos habitudes avec les bons aliments et de diminuer les mauvais, sans pour autant complètement les bannir.
-
Proscrire le tabac : même les petits fumeurs ou fumeurs occasionnels sont en danger. La bonne nouvelle c’est que les bienfaits de l’arrêt du tabac sont immédiats.
Coup double : ces recommandations convergent avec celles de la prévention du cancer, qui en ajoute d’autres, comme la limitation de la consommation de viande rouge transformée.
À l’échelle nationale, le PNNS (Plan National Nutrition Santé) reprend l’ensemble de ces recommandations pour les diffuser à la population générale sous forme d’incitations telles que les fameuses « manger au moins 5 fruits et légumes par jour », « la santé vient en bougeant », « ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé » etc.
Au-delà de cette prévention primordiale, il existe une prévention primaire, qui s’adresse à des personnes présentant un ou plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire identifiés. L’importance et le nombre de ces facteurs permettent au médecin traitant d’évaluer le risque cardiovasculaire global d’un patient. Si sa valeur justifie une prescription médicamenteuse, ce dernier peut se voir prescrire des anti-hypertenseurs ou des hypocholestérolémiants, comme les statines.
Cette dernière classe de médicaments fait aujourd’hui l’objet d’une polémique quant à son efficacité et son innocuité. Pourtant, le bénéfice des statines est réel pour les patients à haut risque cardiovasculaire et les patients ayant eu des antécédents cardiovasculaires. Les statines sont alors prescrites en prévention secondaire, destinée à éviter une rechute.
Alors, maintenant que l'on connaît les facteurs de risque, on décide d’essayer de changer nos habitudes, pour vivre mieux et plus longtemps ?
Martine Glorian, Maître de conférences, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.